France culture, 29 novembre 2010, L’Histoire mixte, vous connaissez ?
Aujourd’hui dans l’Essai du Jour : «La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte», coordonné par Geneviève Dermenjïan, Irène Jami, Annie Rouquier, Françoise Thébaud, aux Éditions Belin, 30 euros.
Quand il s’agit du féminisme, il ne faut jamais crier victoire !
Si l’histoire était un progrès continu, cela se saurait. Et il n’y aurait plus besoin de parler de « desperate housewives ». Je me méfie de l’histoire édifiante. Mais je me méfie aussi de l’historicisme qui met l’histoire à toutes les sauces, et réduit les comportements humains à de pures constructions sociales. Je m’explique. J’adhère totalement à l’idée que la place des femmes dans l’histoire enseignée est insuffisante et que cette insuffisance est un véritable frein dans la marche vers l’égalité. Enseigner une histoire résolument mixte devrait être un impératif. Ce livre a le mérite de rétablir nombre de vérités. « Le tour de France par deux enfants », par exemple, fut publié en 1877 chez Belin – le même éditeur que cette histoire mixte – et était signé Giordano Bruno, alors qu’il fut écrit par Augustine Fouillée, la femme d’Alfred, le philosophe (1836-1912). De la même manière, on a tendance à minimiser le rôle des femmes dans la Résistance, ou bien, on a l’habitude de parler des « Pères de l’Europe », mais on oublie de nommer les Mères : Louise Weiss, Marcelle Devaud, Irène de Lipkowski. Tout cela est grotesque.
Mais il ne faut pas en rester là. « L’empire des femmes » – pour reprendre l’expression d’un dénommé Thomas au XVIII siècle- fut si souvent frappé d’ambivalences qu’il servit à la fois la cause de l’oppression et de l’émancipation. Une histoire mixte permet d’échapper à cette opposition. Elle nous fait comprendre que pour s’opposer, les hommes et les femmes ont toujours composé, pour le pire et le meilleur. Et s’il est des femmes qui se pâmaient devant les beaux yeux de Pétain, il en est d’autres qui surent résister aux assauts de Napoléon. Et que c’était justement pour cette raison – échapper aux fausses emprises de la différence sexuelle – que les romantiques se cherchèrent des sœurs, Alexandra Kollontaï ( 1872-1952) défendit l’amour libre, et Colette quitta Willy.
Le reproche que l’on peut faire à cette histoire mixte est sa prudence. Elle avance sur des œufs. Concernant le voile par exemple et la place des femmes dans les cultures d’islam, j’aurais aimé voir citer Mohamed Arkoun et pas seulement Fadela Amara, au demeurant sympathique. J’aurais aimé que la part faite aux changements n’occulte pas le rôle de la longue durée. J’aurais aimé que le mot de mutation ne soit pas prétexte à réaffirmer des bons sentiments, certes respectables, mais qui ne nous protègent ni des incertitudes du présent, ni des nouvelles peurs, ni du conformisme. J’aurais aimé qu’au catéchisme républicain de nos ancêtres, elle ne cède pas à la tentation de lui substituer un autre catéchisme…
Chronique du 29/11/2010
6 heures 41/France Culture
Dans l’émission : Pas la peine de crier