S2E03 – Femmes et genre dans les conflits du XXe siècle [Françoise Thébaud]


Femmes et genre dans les conflits du XXe siècle.
Guerres mondiales, guerres coloniales, nouvelles conflictualités

Nous nous sommes déjà intéressées dans ce podcast à la présence des femmes dans la guerre (souvenez-vous de l’épisode 12 de notre saison 1), mais nous avions envie de revenir sur les guerres du XXe siècle : non pas que ce siècle ait connu plus de guerres que les précédents, mais les conflits du XXe siècle ont atteint par différents aspects une dimension jusque-là inconnue.

Françoise Thébaud, les femmes au temps de la guerre de 14, Payot, 2013Par ailleurs, dans les programmes scolaires du secondaire, les guerres du XXe siècle occupent une place majeure, et c’est souvent un prétexte pour ne pas donner de place aux femmes, les guerres étant encore perçues comme des évènements historiques typiquement masculins, ou au mieux neutres.

Pourtant, depuis 40 ans, les recherches sur la place des femmes dans la guerre et le genre des guerres du XXe siècle ont pris une ampleur considérable. Les historiennes et les historiens du monde, après s’être interrogés sur les rôles occupés par les femmes dans les conflits, ont mesuré les effets de la guerre sur les sociétés, les relations hommes-femmes et les rôles de genre. Aujourd’hui, les travaux portent sur les sexualités et l’intimité des populations qui subissent la guerre. Dans ces réflexions, hommes et femmes ont toute leur place.

Pour faire avec nous un bilan des avancées de l’histoire des femmes et du genre dans les conflits du XXe siècle et réfléchir à la façon dont on peut introduire ces recherches dans les cours du secondaire, nous avons invité Françoise Thébaud : historienne des femmes et du genre, historienne de la maternité et de l’engagement politique des femmes, elle s’est aussi beaucoup consacrée à la question de la place des femmes dans les conflits du XXe siècle et au genre de la guerre. Elle a été la première présidente de Mnemosyne (2000 à 2008) et elle a été jusqu’en 2018 codirectice de la revue Clio-Femmes, Genre, Histoire qu’elle a confondée en 1995.

Propositions de documents pour vos cours :

Dans cette épisode, Françoise Thébaud nous parle de beaucoup de femmes et de sources différentes, notamment de ce qu’on appelle des « ego sources ». Voici celles qu’elle nous présente dans cet épisode (L’ordre des sources présentées ci-dessous suit majoritairement le déroulé de l’épisode) :

  • des carnets d’infirmières canadiennes. 

Des infirmières militaires canadiennes, mai 1917Des infirmières militaires de l’hôpital général canadien no 10 du Corps de santé royal canadien arrivent à Arromanches, France, le 23 juillet 1944.Pour en apprendre plus sur les infirmières militaires du Canada qui sont venues en Europe lors des deux guerres mondiales, nous vous conseillons la lecture de cette page internet issue du site du gouvernement du Canada dédié aux vétérans de guerre (cliquez sur ce lien), mais également cet article de mars 2022 publié sur le site internet du centre canadien pour la Grande Guerre (cliquez sur ce lien). Pour varier les supports, nous vous conseillons l’écoute de cet épisode de podcast de la Bibliothèque et Archives Canada qui présentent les ego sources rédigées par ces infirmières canadiennes. L’épisode est intégralement retranscrit.

 

 

 


  • Edith Cavel, infirmière britannique (Première Guerre mondiale)Edith Cavell

Vous pouvez aussi mobiliser des connaissances et des ressources sur des infirmières européennes, et notamment Edith Cavel que Françoise Thébaud mentionne dans cet épisode. N’hésitez pas à aller faire un tour sur la page qui lui est dédiée sur le site du National WWI Museum and Memorial de Kansas City aux Etats-Unis, qui vous donnera également accès à des sources intéressantes pour qui maîtrise l’anglais.


  • Marie Curie et ses voitures radiologiques (Première Guerre mondiale)

Même les programmes scolaires n’osent pas ne pas parler de Marie Curie. Il nous est possible d’aborder le rôle de cette illustre scientifique durant la Première guerre mondiale, et nous vous proposons deux supports pour vous y aider. Tout d’abord, vous pouvez lire cet article du journal Le Figaro rédigé lors du centenaire de la guerre 14-18 et proposé en pdf sur le site de l’académie de Versailles (cliquez sur ce lien). Vous pouvez également regarder cette vidéo proposée par le réseau Canopé « Marie Curie dans la guerre »

petite curie

(on notera l’absence de femmes sur cette photographie).


  • Les bataillons de femmes russes (Première Guerre mondiale)

Maria Botchkareva, Yaska, journal d'une femme combattante, Russie 1914 - 1917), Armand Colin, 2012Françoise Thébaud mentionne dans cet épisode les bataillons de femmes cosaques et vous conseille la lecture de l’ouvrage de présenté par Stéphane Audouin-Rouzeau et Nicolas Werth : Maria Botchkareva, Yashka, journal d’une femme combattante, Armand Colin,2012. Pour compléter cette lecture, voici le lien vers un article de RetroNews sur ces bataillons de femme en Russie, rédigé par Marina Bellot en 2017 et mis à jour en 2021.

Retronews bataillon femme russie


 

  • Le monument aux morts de Lodève

Impossible de parler de la Première Guerre mondiale sans évoquer les monuments aux morts. Or, certains sont très intéressants à utiliser en classe pour parler des femmes. Voici par exemple le monuments de Lodève, dans l’Hérault (photographie prise après le nettoyage du monument, par B. Derrieu en 2013) :

Pour plus d’information sur ce monument, vous pouvez lire ce passage d’un article d’In Situ, Revue des patrimoines, consacrés aux monuments érigés par le sculpteur Paul Dardé, ou encore cette page de l’université de Lille décrivant le monument. Il existe d’autres monuments de ce type, et François Thébaud cite celui de Saint-Pol-de-Léon, dans le Finistère, également présenté sur le site de l’Université de Lille consacré aux monuments aux morts (cliquez ici).

monument aux morts de St-Pol-de-Léon (Finistère)


  • Lioudmilla Pavlichenko (Seconde Guerre mondiale)

Lyudmila PavlichenkoExemple emblématique des tireuses d’élites actives lors de la Seconde Guerre mondiale, Ludmilla Pavlichenko, surnommée « lady Death », est présentée dans cet épisode par Françoise Thébaud. Pour en apprendre plus sur cette soldate, voici un article (en anglais) issu du site du National WWII Museum de La Nouvelle Orléans (cliquez ici).

 

 


  • Louise de Bettignies, espione de guerre (Seconde Guerre mondiale)Louise de Bettignies, mémoire

Françoise Thébaud souligne l’image ambiguë de l’espionne durant la Seconde Guerre mondiale. Il est donc d’autant plus important, à ce titre, de présenter cette femmes à nos élèves. Pour vous y aider, voici deux ressources qui peut vous être utiles : un article sur la page « Chemin de Mémoire » du site du ministère des Armées qui lui est consacré (cliquez ici), et un docu-fiction présenté par France Inter avec la participation de l’historienne Chantal Antier (cliquez ici).

Si vous souhaitez mobiliser davantage de figure d’espionne, n’hésitez pas à mobiliser la figure plus connue de Rose Valland, espionne durant la Seconde Guerre mondiale et passionnée d’art, notamment grâce à ce récit de Jennifer Lesieur. Si vous travaillez sur la Guerre froide, n’hésitez pas à consulter l’ouvrage de Chloé Aeberhardt, Les espionnes racontent, Robert Laffont, 2017, qui met en récit les actions d’anciennes espionnes de la Guerre Froide. Pour un avant goût du contenu de cet ouvrage, voici un épisode de l’émission « Le Book Club » de France culture qui parle en parle.

 

  • Jeanne Bohec, une autre figure de la résistance française. 

Des résistantes en France, on en connait beaucoup, que ce soit Marguerite Duras, Lucie Aubrac, Rose Valland, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Laure Diebold, Yvonne Le Roux, Renée Lévy, Simone Michel-Lévy, Marie-Madeleine Fourcade, Marie-Claude Vaillant-Couturier… Françoise Thébaud a choisi, dans cet épisode de notre podcast, de nous parler de Jeanne Bohec. Nous vous conseillons, comme ressource complémentaire, de consulter cette page du musée de la résistance consacrée à « la plastiqueuse à bicyclette ».

photo d'identité de Jeanne Bohec - service historique de la Défense, 16 P 67268 ©

photo d’identité de Jeanne Bohec – service historique de la Défense, 16 P 67268 ©


  • Des historien·nes travaillant sur les femmes dans les guerres de la 2ème moitié du XXe siècle

François Thébaud cite plusieurs historien·nes durant l’épisode, dont le travail nous permet de mieux connaître et donc mieux enseigner une histoire mixte des conflits de la 2ème moitié du XXe siècle, notamment dans les conflits coloniaux. Ainsi, notre invité mentionne le travail de François Guillmot sur la guerre du Vietnam, ou encore celui de Djamila Amrane sur la guerre d’Algérie.

François Guillemot, Des vietnamiennes dans la guerre civile, L'autre moitié de la guerre, 1945-1975, Indes Savantes, 2014

François Guillemot, Des vietnamiennes dans la guerre civile, L’autre moitié de la guerre, 1945-1975, Indes Savantes, 2014

Danièle Djamila Amrane-Minne, Des femmes dans la guerre d'Algérie, préface de Michelle Perrot, Karthala, 1994

Danièle Djamila Amrane-Minne, Des femmes dans la guerre d’Algérie, préface de Michelle Perrot, Karthala, 1994


  • Les violences de guerreMarta Millers, Une femme à Berlin

Nous abordons également dans cet épisode le thème des violences de guerre envers les femmes. A ce sujet, Françoise Thébaud mentionne l’ouvrage autobiographique de Marta Millers, l’une des nombreuses Allemandes à avoir subi les viols de guerre perpétrés par l’armée soviétique en 1945. Elle a publié son journal, ce qui constitue l’une des ego-source extrêmement utile pour la transmission de l’histoire. Pour compléter la lecture de ce journal, nous vous invitons à écouter cette interview de la metteuse en scène Brigitte Haentjens, qui a adapté ce journal au théâtre, diffusée sur Radio Canada.


  • Des guerres émancipatrices pour les femmes ?

Françoise Thébaut évoque une affiche réalisée par Henri Lebasque et présentant les rôles sexués imposé à la population lors de la période de reconstruction qui suit la Première Guerre mondiale. Pour aller plus loin dans la découverte, l’étude et l’utilisation de ce document extrêmement riche, rien de mieux que le site « lHistoire par l’image » qui lui consacre une page complète. Vous trouverez d’ailleurs des liens vers d’autres dossiers passionnément utiles pour enseigner une histoire mixte (cliquez sur la photo pour accéder au site de l’histoire par l’image) : L'emprunt de la paix

Dominique Fouchard, Le Poids de la guerre. Les Poilus et leur famille après 1918, Rennes, PUR, 2013

Dominique Fouchard, Le Poids de la guerre. Les Poilus et leur famille après 1918, Rennes, PUR, 2013

Il est également fait mention, dans cet épisode, de la question du retour des Poilus après la guerre et de la place des femmes dans la société. La discussion vise à s’interroger sur l’émancipation réelle ou non des femmes liées aux guerres. Notre invitée évoque à ce propos l’ouvrage de Dominique Fouchard, Le Poids de la guerre. Les Poilus et leur famille après 1918, Rennes, PUR, 2013. Vous pouvez accéder au compte-rendu de lecture que François Thébaud a rédigé dans le n°39 de la revue Clio. Femmes, Genre, Histoire (cliquez ici).

L’émancipation ne concerne pas seulement l’obtention du droit de vote, ou le travail des femmes, mais également leur accès à l’éducation. A ce propos, il est intéressant de mobiliser les textes de lois dans nos corpus documentaires. Voici un extrait de l’arrêté du 10 juillet 1925, complétant la réforme du plan d’étude de l’enseignement secondaire, dite réforme Léon Bérard (mai 1923) :

arrêté juillet 1925 éducation filles


 

Vous trouverez également une multitude de documents relatif aux femmes dans les guerres sur le site suivant : « A Closer Look At The Women’s Work Collection »

Bibliographie

  • Clio, Femmes, Genre, Histoire, « Les lois genrées de la guerre », 2014/1 (sous la direction de Fabrice Virgili)
  • Capdevila Luc, François Rouquet, Fabrice Virgili et Danièle Voldman, Sexes, genre et guerres (France, 1914-1945), Petite bibliothèque Payot, 2e éd., 2010
  • Handfield Nicolas, Julie Le Gac & Chloé Poitras-Raymond (dir), Femmes en guerre, de l’époque médiévale à nos jours, Lille, Septentrion, 2022.
  • Rouquet François & Fabrice Virgili, Les Françaises, les Français et l’épuration, Folio Histoire, 2018
  • Thébaud Françoise, Les Femmes au temps de la guerre de 14, Petite bibliothèque Payot, 2013 (réédition complétée)
  • Thébaud Françoise, Yannick Ripa, La Condition des femmes de 1789 à nos jours, la Documentation photographique, 2022

Textes et crédits :

  • Texte 1 : Lettre de paysannes de Chantelouve (village de l’Oisans) au préfet de l’Isère (extraits), 29 mai 1916

« Monsieur le Préfet,

Permettez-nous s’il se peut de vous exposer nos besoins. Nous trouvant dans l’impossibilité absolue de pouvoir cette année rentrer nos récoltes, faute de bras d’hommes, nous venons faire appel à votre bienveillance. Afin d’interpréter [sic] pour nous auprès de l’autorité militaire. […. Elles demandent des permissionnaires agricoles] Ce n’est pas nous pauvres femmes qui faucherons, car nos forces déjà si épuisés par le surmenage et le chagrin continuels depuis deux ans ne le permettent pas. (…) Veuillez nous excuser, Monsieur le Préfet, de la liberté que nous prenons à votre égard. Nous espérons fermement que vous aurez égard à notre situation (….)»

Valentine Blanc, Marie Cros, Marie Siaud et un groupe de femmes de mobilisés

  • Texte 2 : extrait de Yashka, Journal d’une femme combattante, 1923, p.39

« Jour et nuit ma pensée se portait vers les champs de bataille, et je croyais entendre la plainte de mes frères blessés. Jusque dans le Nord sauvage de la Sibérie retentissait le choc des armées immenses. Les bruits les plus divers circulaient, bruits de victoires et de défaites, et le monde parlait à voix basse des torrents de sang répandu, et de la masse énorme des mutilés retirés du front et refluant vers les plaines. Je brûlais du désir d’aller là-bas, moi aussi, d’être baptisée dans le feu et purifiée dans la fournaise. J’éprouvais le besoin du sacrifice ; mon pays m’appelait et une force intérieure irrésistible m’entraînait. Il fallait seulement que mon mari s’éloignât pour quelques jours. »

  • Texte 3 : Journal La Française, 19 décembre 1914 – Jane Misme, “Une campagne féminine des pays ennemis et des pays neutres en faveur de la paix” (extraits)

« Cette agitation, pour que nous continuions à traiter en amies les citoyennes des pays ennemis, pour que, unies à elles, nous adjurions les hommes qui s’entr’égorgent de se tendre la main, nous choque… nous révolte (…). Les Françaises se déclarent solidaires des Français qui soutiennent la guerre, qui, eux non plus, ne l’ont point voulue mais qui l’ont si fièrement acceptée pour sauver la France attaquée. (…) Les désavouer, ce serait trahir eux et la patrie. Aujourd’hui l’âme des Françaises les plus pacifistes se bat contre l’ennemi, à côté de nos soldats. Et tant que durera la guerre, les femmes de l’ennemi seront aussi l’ennemi. (…) Que nos collègues internationales se persuadent qu’il ne peut y avoir en ce moment aucune question internationale féminine. Il n’y a qu’une seule et immense question internationale tout court. Elle ne peut se résoudre que par la logique des choses, c’est-à-dire par la défaite d’une des forces engagées. Pour cette solution, hélas ! aucune diplomatie ne peut rien. Il faut, le cœur déchiré, laisser agir les armes et couler le sang.»

  • Texte 4 : Lettre de Maurice Drans, fils de commerçants, 23 ans en 14 à sa fiancée Georgette connue lors d’une permission. Lettre écrite le 17 mai 1917  (extrait)

« O ma Georgette, je devrais te parler d’amour, et je te parle de ça [un champ de cadavres] ! Ah ! Dans ces moments-là, titubant, ivre, abandonné, frissonnant, naufragé, je tends les bras vers toi, je t’implore, je te supplie. Je suis un homme pourtant et des fois je grince des dents pour ne pas pleurer. »

Générique : Warm Sunset par Romarecord1973, disponible sur Pixabay

Un podcast produit par l’Association Mnémosyne avec Cécile Béghin.
Noémie Gmür et Clémentine Letellier à la technique.
Clémentine Letellier à la lecture des textes.

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