Compte rendu dans les Annales de démographie historique du livre d’Anaïs Dufour prix Mnémosyne 2010

Comptes rendus », Annales de démographie historique 1/2013 (n° 125), p. 211-234.
URL : www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2013-1-page-211.htm.

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Anaïs DUFOUR, Le Pouvoir des dames. Femmes et pratiques seigneuriales en Normandie (1580-1620), Rennes, PUR, 2013, 110 p.

Venant après L’héritage de Marie de la Roche-Guyon. Un conflit entre deux nobles lignages normands à la fin du Moyen Âge (Valérie Deplaigne, 2009) paru dans la même collection, Le Pouvoir des dames convainc de la nécessité de poursuivre dans la voie d’une approche genrée des modalités de reproduction familiale et sociale. En un court volume de 110 pages, divisé en cinq chapitres, nourri de quelques pièces justificatives – un aveu de 1604 intégralement restitué en 22 pages – et des habituels compléments, l’auteure donne à voir les circonstances qui conduisent les femmes à exercer un authentique pouvoir seigneurial. Car même dans une province aussi peu favorable aux femmes que la Normandie, il arrive que les filles majeures (exceptionnellement) et les veuves (ordinairement) administrent des ensembles fonciers et recueillent des droits d’une certaine importance. Cela tient à la coutume qui dispose que les filles héritent de leurs parents en l’absence de frères, directement ou par représentation. Anaïs Dufour, puisant dans un corpus d’aveux et de partages entre filles, donne quelques exemples de transmission de seigneuries passant alternativement par les femmes et par les hommes. Elle montre également la persistance du parage entre filles, alors qu’il a pratiquement cessé d’exis-ter entre frères. Quand les filles héritent d’un bien noble, les puînées tiennent leur part en parage de l’aînée, qui fait seule foi et hommage au suzerain pour la totalité du fief, comme si aucun partage n’était intervenu. Ce parage concilie l’indivisibilité du fief et le partage égal, une pratique collective des prérogatives seigneuriale en même temps que le rejet du principe de primogéniture. S’il n’y a pas de droit d’aînesse, une certaine inégalité peut-elle tout de même s’être glissée dans la pratique successorale ? Certains fiefs, au moins sur le plan symbolique, ont plus de poids que d’autres. Les lots, égaux en valeur, peuvent ou non comporter un fief ou une part de fief. Enfin, les parts peuvent être rachetées et un fief démembré reconstitué sur une seule tête. Tout cela fait-il plus que des nuances ? Il faudrait examiner les alliances, le destin des aînées et des cadettes, pour s’en assurer. Si les mariages font bien l’objet d’un chapitre, ce point n’est malheureusement pas étudié. L’enjeu que représentaient les héritières, filles mineures puis jeunes femmes à marier, est en revanche fort bien illustré. Mais c’est surtout dans le veuvage que les femmes trouvent à s’accomplir et à s’affranchir de la tutelle masculine. Douairières, gardiennes, tutrices ou simples propriétaires, les veuves peuvent montrer autant d’acharnement que les hommes à conserver leurs droits. Anaïs Dufour les montre aussi très actives sur le marché foncier et occupées à grossir le patrimoine lignager. De ce point de vue, il ne semble pas qu’il faille distinguer gestions féminine et masculine. Un dernier chapitre met en avant quelques figures féminines de la haute aristocratie, l’énergie répressive de la duchesse de Longueville, l’esprit d’initiative de la duchesse d’Aumale.

C’est donc un beau travail qui nous est proposé, montrant des femmes autonomes, actives, parfois même puissantes. On les voit dominantes à l’égard des couches sociales inférieures, mais pas vraiment dominées par les hommes dans leur univers propre. L’ouvrage, qui repousse une analyse des rapports sociaux et conjugaux en termes de domination, s’inscrit dans un courant ; celui des travaux visant à l’atténuation des antagonismes. On regrette à cet égard la brièveté du paragraphe consacré à la séparation de biens, encore trop méconnue dans la noblesse, mais bien décrite par Julie Hardwick pour le monde artisanal (Family Business. Litigation and the political economies of daily life in early modern France, 2009), ou bien l’absence des hommes d’affaires recrutés pour assister les femmes administratrices.

Jérôme Luther Viret

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