S3E02 – Femmes et hommes en esclavage [Cécile Vidal, Sandrine Victor]

Femmes et Hommes en esclavage, du Moyen Âge à l’époque moderne

 

Nous sommes ravies de vous retrouver après une trop longue absence, et pour un épisode qui nous tient à cœur depuis longtemps. En effet, avec nos deux invitées, nous allons parler esclavage et traite et, bien que ce phénomène soit universel et se poursuive encore actuellement, nous avons centré notre propos sur deux périodes historiques, le moyen-âge et l’époque moderne, avec au cœur de notre réflexion la question du genre.

couverture de l’ouvrage de Sandrine Victor, Les fils de Canaan, l’esclavage au moyen-âge, Vendémiaire, Paris, 2019.

couverture du n°59 de la revue Clio. Femmes, Genre, Histoire 2024/1 , Belin, Paris.

En effet, si la recherche historiographique sur l’esclavage et la traite est ancienne et très féconde à l’échelle internationale, et si elle interroge parfois la famille et les femmes, la question du genre a mis du temps à s’y imposer. Il a fallu attendre le printemps 2024 pour que la revue Clio fasse paraitre un numéro spécial sur le thème du « genre de l’esclavage », dirigé par l’historienne Cécile Vidal, qui est avec nous aujourd’hui. Elle est historienne de l’histoire sociale dans les empires coloniaux dans la traite et dans l’esclavage au sein des mondes atlantiques entre le XVIIe et le XIXe siècle. Elle est accompagnée par l’historienne Sandrine Victor, professeure des universités à l’Université d’Albi, spécialiste de l’histoire sociale de l’économie, notamment à travers l’étude de l’histoire des mondes du travail au Moyen Âge. Elle est l’autrice d’un ouvrage sur l’esclavage médiéval dans le bassin méditerranéen Les fils de Canaan, L’esclavage au Moyen Âge, Vendémiaire, 2019.

Toutes les deux centreront leurs interventions sur l’espace géographique qu’elles connaissent le mieux, la Méditerranée médiévale pour Sandrine, les mondes Atlantiques pour Cécile. Nous espérons grâce à elles parvenir à démontrer que l’esclavage est un long processus historique et que l’étudier sur le long terme, dans une démarche comparatiste, permet de mieux mettre en relief les relations entre le genre et l’esclavage.


Bibliographie :

  • ALMEIDA MENDES (DE) António, « Africaines esclaves au Portugal : dynamiques d’exclusion, d’intégration et d’assimilation à l’époque moderne (XVe–XVI«  siècles) », in Visions/versions of Africa in Europe during the Renaissance and Reformation,(éd. K .J. P. LOWE), « Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme », 2008, pp. 43-63.
  • CASTELNAU (DE) Charlotte – L’Estoile, Pascoa et ses deux maris. Une esclave entre Angola, Brésil et Portugal au XVII ès, PUF, Paris, 2019.
  • COQUERY-VIDROVITCH Catherine et MESNARD Éric, Être esclave, Afrique – Amériques (XVe-XIXe siècle), La Découverte, Paris, 2013.
  • COTTIAS Myriam, CUNIN Elisabeth et ALMEIDA MENDES (DE) António (dir.), Les traites et les esclavages, Perspectives historiques et contemporaines, Khartala, 2010.
  • DORIGNY Marcel, GAINOT Bernard, Atlas des esclavages, édition Autrement, 2006.
  • DUFOURNAUD Nicole et MICHON Bernard (dir.), Femmes et négoce dans les ports européens (fin du Moyen Age – XIXe siècle), 2018.
  • GAUTHIER Arlette, « Le rôle des femmes dans l’abolition de l’esclavage », Cahiers du féminisme, 0154-7763, 1989, pp.20-21.
  • GAUTHIER Arlette, Les soeurs de solitude. Femmes et esclavage aux Antilles du XVIIe au XIXe siècle, (1985 ) PUR, 2010 (réed.)
  • ISMARD Paulin (dir.), ROSSI Benedetta, VIDAL Cécile (coord.), Les mondes de l’esclavage, une histoire comparée, Seuil, Paris, 2021.
  • LALANNE Sophie, LETT Didier, PICCO Dominique (dir), Une histoire des femmes en Europe (des grottes aux Lumières). Objets, Images, Textes. Colin, 2024.
  • BEGHIN Cécile, « Travail et esclavage : sortir les femmes de l’ombre » dans LALANNE Sophie, LETT Didier, PICCO Dominique (dir), Une histoire des femmes en Europe (des grottes aux Lumières). Objets, Images, Textes. Colin, 2024, pp. 175 à 207.
  • PEABODY Sue, « Négresse, Mulâtresse, Citoyenne : Gender and Emancipation in the French Caribbean, 1650-1848 », in SCULLY Pamela & PATON Diana (eds), Gender and Slave Emancipation in the Atlantic World, Durham, Duke University Press, 2005, p. 56-78.
  • PETRE-GRENOUILLEAU Olivier, Les traites négrières, Documentation photographique, n°8032, 2003.
  • STELLA Alessandro, Histoires d’esclaves dans la péninsule ibérique, Paris, EHESS, 2000.
  • VICTOR Sandrine, Les fils de Canaan, l’esclavage au moyen-âge, Vendémiaire, Paris, 2019.
  • VIDAL Cécile et RUGGIU François-Joseph (dir.), Sociétés, colonisations et esclavages dans le monde atlantique. Historiographie des sociétés américaines des XVIe-XIXe siècles, Les Perséides, Bécherel, 2009.
  • VIDAL Cécile, Caribbean New Orleans : Empire, Race, and the Making of a Slave Society, Williamsburg et Chapel Hill, Omohundro Institute of Early American History et Culture and University of North Carolina Press, 2019.
  • VINCENT Bernard, « L’esclavage dans la péninsule ibérique à l’époque moderne », in COTTIAS Myriam, CUNIN Elisabeth et ALMEIDA MENDES (DE) António (dir.), Les traites et les esclavages : perspectives historiques et contemporaines, Karthala, Paris, 2010.

Revues

  • Cahiers des Anneaux de Mémoire, Les femmes dans la traite et l’esclavage, N°5, Nantes 2003.
  • N’DIAYE Pap, « Nouvelles questions autour du travail et de la famille des esclaves dans le Sud des Etats-Unis », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2005, N°52-4bis, pp. 18-29.
  • PLAZOLLES GUILLEN Fabienne, TRABELSI Salah (dir.),  » Les esclavages en Méditerranée : espaces et dynamiques économiques« , Rives méditerranéennes n°53-2017, Casa de Velazquez, Madrid, 2012.
  • VIDAL Cécile (dir.), « Le genre de l’esclavage», Femmes, Genre, Histoire 2024/1 (n° 59), Belin, Paris, 2024.
  • VIDAL Cécile, Emily Clark, « Famille et esclavage à la Nouvelle-Orléans sous le régime français (1699-1769) », Annales de démographie historique 2011/2 (n° 122), pages 99 à 126.

Sitographie & ressources :

Récits

Sites & Vidéos :

Textes et crédits :

  • Texte 1 (30’11’’) : « Vente de l’esclave Célia à Noble Bernard de l’Oratoire de Montpellier, le 16 février 1426 », dans LALANNE Sophie, LETT Didier, PICCO Dominique (dir), Une histoire des femmes en Europe (des grottes aux Lumières). Objets, Images, Textes. Colin, 2024, p. 196. Texte traduit du latin par BEGHIN Cécile.
  • Texte 2 (48’10’’) : « Règlement d’habitation de 1777 »

Guy Le Gentil de Paroy est un grand planteur absentéiste qui gère depuis la métropole des plantations sucrières et caféières héritées de son père à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il fait rédiger un règlement dont voici un extrait :

« Règlement pour les nègres de mes habitations

Article 3 : On donnera aux femmes en couche tous les secours possibles. Si la sage-femme s’est mal comportée dans l’opération de l’accouchement, par malice ou autrement, elle sera punie sévèrement. Si c’est la mère qui fasse pourrir son enfant par sa faute, elle sera condamnée à porter trois jours de suite son enfant mort dans ses bras en présence de tout l’atelier, et recevra 30 coups de fouet deux jours de suite.

Article 4 : Chaque mère qui aura six enfants sera dispensée le reste de sa vie du travail de la place et du moulin. Celles qui auront trois enfants vivants seront dispensés d’un jour de travail par semaine. Celles qui en auront quatre, de deux jours par semaine.

Article 5 : L’économe veillera à ne pas surcharger de travail les femmes grosses, ou en prendra grand soin pendant leurs couches, il aura une case particulière pour les recevoir.

A Paris le 17 avril 1777. »

  •  Texte 3  (1 : 01’45’’) : « La lutte d’une ancienne esclave pour la liberté de sa fille (Espagne, XVIIe siècle) » dans LALANNE Sophie, LETT Didier, PICCO Dominique (dir), Une histoire des femmes en Europe (des grottes aux Lumières). Objets, Images, Textes. Colin, 2024, p. 202. Texte traduit de l’espagnol par STELLA Alessandro.

 

  • Texte 4 (1 : 18’ 35’’) : « extrait d’un registre de mariage à La Nouvelle Orléans, 1720 – 1730

« L’an 1727 le 3 août j’ai marié en face d’Église avec les cérémonies ordinaires Jaques nègre fils de Joseph et de Marie ses père et mère et Marguerite négresse appartenant l’un et l’autre à M. de Bienville avec la permission duquel j’ai célébré ce mariage en présence de Bélair et La Coste habitants de cette ville qui ayant déclaré ne savoir écrire ont fait leurs marques ordinaires en foi de quoi j’ai signé f. Raphaël prêtre capucin vicaire général. »

Archidiocèse de La Nouvelle-Orléans, Registre de mariages de l’église Saint-Louis de La Nouvelle-Orléans, 1er juillet 1720 au 4 décembre 1730

  • Texte 5 ( 1 : 27’43 ») : « déclaration de marronnage à Saint-Domingue »

« Deux Négresses nation Congo, dont l’une nommée Victoire, étampée sur l’épaule gauche LH [renversé], âgée d’environ 27 à 28 ans, taille de 5 pieds 3 à 4 pouces, ayant quantité de marques de petite vérole, habillée assez proprement, portant une jupe d’indienne foncée, un mouchoir rouge sur le col, & un autre bleu & blanc à la tête, appartenant à M. Solé, Maître Tailleur, rue Royale, près la rue des Religieuses; & l’autre nommée Isidore, étampée sur l’épaule droite LH [renversé], âgée de 14 à 15 ans, d’une jolie figure & parlant un peu français, sont marones depuis le 13 du courant : on croit qu’elles sont ensemble. Ceux qui les reconnoîtront, sont priés de les faire arrêter, & d’en donner avis au Sr Cabot, Hoqueton de l’Intendance. Il y aura récompense. »

Annonces de femmes esclaves en fuite tirées du site « Le marronnage dans le monde atlantique : Sources et trajectoires de vie ». Saint-Domingue, Affiches américaines – 1768-06-20

  • Texte 6 ( 1 : 35’ 50’’) : « Mémoires de la vie de Florence Hall »

« L’Afrique est mon pays – Dans le pays de l’Eboe et sur les rives de la Grande Rivière, mon peuple a vécu.

Je me souviens à peine de la façon dont j’ai vécu avant d’être enlevée et vendue aux Blancs, si ce n’est que je n’étais pas encore vêtue et que j’étais tantôt employée à assister nos gens pendant qu’ils pêchaient, tantôt à garder les volailles et les poulets contre les éperviers, ou plus souvent à jouer avec d’autres enfants.

Au cours de l’une de ces soirées de jeu, alors que nous nous trouvions à une certaine distance de nos maisons, un groupe d’ennemis nous a contournés et nous a conduits dans un endroit clos, où ils nous ont immédiatement attachés – nos mains étaient liées – tandis que nous poussions en vain des cris et des hurlements, mais ils n’étaient pas entendus, ou s’ils étaient entendus, ils étaient laissés sans réponse, et par la force, nous étions pressés et nous ne nous sommes pas reposés jusqu’à ce que le soleil se lève marquant notre détresse et la distance qui nous sépare de notre maison.  

Le jour, nous sommes restés cachés, et la nuit, nous avons accompli notre voyage. Jour et nuit se succédèrent, dans la faim, la fatigue et le chagrin ; à la fin de la quinzième nuit, notre voyage prit fin, et l’aube du jour nous montra la grande mer et le navire, dans lequel nous fûmes bientôt embarqués et quittâmes aussitôt notre pays et notre liberté, pour être livrés à des étrangers et à des esclavagistes.

Les ennemis de notre pays nous ont saisis et vendus aux Blancs, pour l’amour de la boisson et à cause des querelles de leurs chefs. Les Blancs nous ont reçus et nous ont dépouillés de toutes nos perles et de tous nos coquillages, et tandis que les enfants nus étaient autorisés à se promener sur le navire, les hommes et les femmes étaient enchaînés et gardés dans l’obscurité à l’intérieur.

Notre nourriture était maigre et toujours mauvaise. Les punitions étaient fréquentes et sévères, et la mort devint si fréquente qu’elle finit par se produire sans que les mourants aient peur, ni que ceux qui restaient aient du chagrin, car nous croyions que ceux qui mouraient étaient rendus à leur peuple et à leur pays.

Après un long voyage, le bateau atteignit enfin la Jamaïque. Mon nom Eboe était Akeiso, dont la perte mit bientôt fin à tout souvenir de mon peuple – un autre nom, une langue étrangère et un nouveau maître embrouillèrent mon esprit, et bien que l’ignorance de chacun d’eux rendît mon travail plus pénible, la crainte d’une punition m’obligeait à travailler. »

Extrait des Mémoires de la vie de Florence Hall, archive conservée à la société historique de Pennsylvanie, dans les papiers de Robert Johnson, propriétaire ayant recueillis les souvenirs de son esclave. Traduit de l’anglais par Clémentine LETELLIER

  •   Texte 7 (1 : 43′ 45 ») : « la violence urbaine contre les esclaves : exemple d’un témoignage de l’esclave Louison à La Nouvelle Orléans au XVIIIe siècle (1718 – 1769) ».

« Nous a dit quil y a huit ou dix Jours, Etant à laver au bord du fleuve vis à vis la maison des darnes Religieuses avec plusieurs autres négresses, tant Celles servant à Lhopital que Celles appartenant aux Religieuses.

Elle vit venir led. pochenet quelle Connoissoit pour avoir été malade à Lhopital tres Longtemps, qui avoit une bayonette à la main, Et qui aprocha de la Negresse Babet quelle vit quil Badinoit sur un Bois avec sa bayonette En Coupant le bois Et quelle N’entendoit pas Ce quil Luy disoit ; qu’un moment apres Elle vit Cet homme qui luy porta un Coup de bayonnette sur LEstomac, quelle Courut à Cette Negresse pour la secourire que Cet homme se mit à Jurer Et à s’emporter Contr’elle parce quelle Luy disoit pourquoy il vouloit assasiner Cette femme, que la dessus il Luy donna des Coups de bayonette sur la teste Et sur le Corps mais qu’ayant un Chapeau sur la teste Et un Corset de bonne Etoffe Cela fit quelle ne fut pas beaucoup blessé […], C’Est pourquoy Elle Se mit à fuir pour gagner le Couvent, Elle tomba, led. pochenet Luy donna alors plusieurs Coups de bayonette dans le Corps et dans le bras qui Entrerent malgré cela Elle Voulut Encore fuir.

led. Pochenet Luy dit, allons met toy à Genoux Et demande moy pardon; Elle Luy dit L’on ne demande pardon qu’à dieu, que malgré Cela Elle se mit à genoux Et Luy dit pardon Monsr que Malgré Cela Il Luy porta Encore deux ou trois Coups de bayonnette Et pendant Ce temps là toutes les autres Negresse se sauvèrent En Criant au Couvent Et à Lhopital au secours on nous assassine, Voila un soldat qui Court après nous touttes avec une bayonnette, que dans Ce moment Baptiste son Mary avec un jeune françois Et autres de Lhopital Coururent à son secours, Et lorsqu’il furent aupres d’Elle Et dudt Pochenet, il porta des Coups de bayonnette à son mary Et à Ce jeune francois qui Evitèrent ses Coups, es qu’ayant Resisté pour tâcher de prendre De saisir Cet homme furieux il En porta un Coup de sa bayonnette dans la main du­dit baptiste son mary dont il Est fort blessé et Comme il y vint d’autres personnes on Le saisit Et on l’amena a Lhopital où il juroit extrême­ment en faisant toujours le furieux, ensuite de quoy la garde vint qui L’Emmena Et on la fit panser qui Est tout Ce quelle se souvient de L’af­faire en question nous Nous affirmant que Cest la verste. »

Extrait du procès d’un soldat blanc poursuivis pour avoir attaqué des femmes esclaves nettoyant du linge dans le Mississippi.


Générique : Warm Sunset par Romarecord1973, disponible sur Pixabay

Un podcast produit par l’Association Mnémosyne avec Cécile Béghin.
Noémie Gmür et Clémentine Letellier à la technique.
Clémentine Letellier à la lecture des textes.

Enregistré au sein du Studio La Poudre de la Cité Audacieuse.