Depuis le printemps dernier (2011), l’introduction d’un nouvel objet d’étude dans le programme de Sciences et Vie de la Terre des classes de Première L et ES, « Devenir homme ou femme », a suscité une levée de bouclier dans les rangs de la droite catholoique française, avec l’appui du Vatican. La « théorie du genre » est incriminée comme une « idéologie », dont les effets seraient dangereux pour les adolescents. L’association Mnemosyne, les revues Clio, HFS et Genre & Histoire ont tenu à signer la pétition dont le texte suit pour affirmer, au contraire, la nécessité d’un enseignement qui prendrait en compte le genre, de manière à faire comprendre aux élèves les inégalités et les discriminations qui peuvent être affecter les femmes mais aussi les homosexuel-le-s.

L’actualité des débats sur les manuels de SVT peut être consultée sur le site de l’Institut Émilie du Châtelet

Le texte de la pétition :

Dans une lettre ouverte du 31 mai adressée au ministre de l’Éducation nationale, Christine Boutin brandit la menace « des scrutins qui s’annoncent ». C’est pour exiger de Luc Chatel le retrait puis la correction des manuels de Sciences de la vie et de la terre des classes de Première L et ES qui viennent d’être publiés conformément aux nouveaux programmes: elle leur reproche en effet d’offrir «un enseignement directement et explicitement inspiré de la théorie du genre.»

De quoi s’agit-il au juste ? Un des objets d’étude au programme est intitulé : «Devenir homme ou femme ». Selon le Bulletin officiel du 30 septembre 2010, «ce thème vise à fournir à l’élève des connaissances scientifiques clairement établies, qui ne laissent de place ni aux informations erronées sur le fonctionnement de son corps ni aux préjugés. Ce sera également l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée. » Christine Boutin s’indigne qu’on enseigne le « genre »: « Comment ce qui n’est qu’une théorie, qu’un courant de pensée, peut-il faire partie d’un programme de sciences? Comment peut-on présenter dans un manuel, qui se veut scientifique, une idéologie qui consiste à nier la réalité: l’altérité sexuelle de l’homme et la femme? [… ] Je ne peux accepter que nous trompions [les adolescents] en leur présentant comme une explication scientifique ce qui relève d’un parti-pris idéologique. »

Pourtant, il n’appartient nullement aux politiques de juger de la scientificité des objets, des méthodes ou des théories. Seule la communauté savante peut évaluer les travaux de ses pairs: le champ scientifique, par ses contrôles, en garantit la rigueur. Si nous restons silencieux aujourd’hui, nous dira-t-on demain que l’évolution n’est qu’une idéologie ? À quand les pressions pour imposer l’enseignement du créationnisme, au nom de la liberté de conscience ?

Pour nous, membres de l’Institut Émilie du Châtelet qui vise au développement et à la diffusion des recherches sur les femmes, le sexe et le genre, une telle censure politique serait inacceptable – et d’autant plus que l’ancienne ministre justifie sa demande d’interdiction « au nom du respect de la liberté de conscience. » Pour nous, universitaires et chercheur-e-s, une telle ingérence religieuse dans l’enseignement serait insupportable – et d’autant plus que la présidente du Parti chrétien-démocrate invoque sans rire « la neutralité des valeurs républicaines ».

Or sa lettre au ministre ne fait que relayer celle du lobby des Associations familiales catholiques, dont Christian Vanneste, député UMP de la Droite populaire, s’est fait l’écho à son tour dans une question au gouvernement datée du 7 juin. Le site de L’Évangile de la vie, qui défend la vie « depuis sa conception», rapporte dès le 20 mai la naissance de cette campagne: « Avertie la semaine dernière par le lycée Saint-Joseph de Draguignan (Dominicaines du Saint-Esprit) qui venait de recevoir les tout nouveaux manuels […], la commission bioéthique en lien avec l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon a pu mesurer la gravité des changements opérés par le ministère de l’Éducation nationale par rapport aux précédents programmes. » En réalité, la présidente du Parti chrétien-démocrate se fait la porte-parole du Vatican, qui ne cesse de marteler son opposition aux études de genre – depuis la conférence des Nations Unies sur les femmes de Pékin en 1995 jusqu’aux dernières interventions de Benoît XVI, en passant par la « Lettre aux Évêques sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église » de celui qui n’était encore en 2004 que le Cardinal Ratzinger.

On aurait tort de croire que nous ne faisons que défendre ici notre pré carré de chercheur-e-s et d’enseignant-e-s. La vigilance s’impose aujourd’hui à chacune et à chacun. Le responsable de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon ne s’en cache pas: « Si l’on regarde de l’autre côté des Pyrénées, on s’aperçoit que des dizaines de milliers de familles catholiques avec le soutien appuyé de la Conférence épiscopale espagnole et le concours de juristes compétents se sont d’ores et déjà organisées pour contester les cours obligatoires sur le gender du gouvernement Zapatero, voire retirer leurs enfants en posant un acte d’objection de conscience. Allons-nous devoir en arriver là en France ? ». La menace qui pèse sur la laïcité est claire.

Nous, chercheur-e-s et universitaires engagé-e-s dans des travaux sur les femmes, le sexe et le genre, spécialistes d’anthropologie biologique et culturelle, de neurologie et de génétique, de médecine et d’épidémiologie, de psychologie et de psychanalyse, de droit et de science politique, de démographie, d’histoire et de géographie, de sociologie, de sciences de l’éducation et d’économie, de philosophie et d’histoire des sciences, d’arts du spectacle et de cinéma, de littérature et de linguistique, et d’autres domaines encore, nous élevons avec force contre des conceptions anti-scientifiques qui s’autorisent du « bon sens » pour imposer leur ordre rétrograde. Interroger les « préjugés » et les «stéréotypes » pour les remettre en cause, c’est précisément le point de départ de la démarche scientifique. C’est encore plus nécessaire lorsqu’il s’agit des différences entre les sexes, qui sont toujours présentées comme naturelles pour justifier les inégalités : la « réalité » selon la droite religieuse, c’est en réalité une hiérarchie entre les sexes dont nos travaux, issus de disciplines multiples, convergent tous pour contester qu’elle soit produite par la nature. La science rejoint ici le féminisme: on ne naît pas femme,ni homme d’ailleurs, on le devient. Bref, en démocratie, l’anatomie ne doit plus être un destin.

Florence Rochefort, présidente, et les membres de l’Institut Émilie du Châtelet pour le développement et la diffusion des recherches sur les femmes, le sexe et le genre.

Avec le soutien, notamment, d’associations et de revues scientifiques spécialisées dans ce domaine:

– Associations : AFFDU Association française des femmes diplômées des universités, ANEF Association nationale des études féministes, Archives du féminisme, EFIGIES Association-Réseau de travail et d’échanges entre doctorant-e-s en Études Féministes, Genre et Sexualités, MNÉMOSYNE pour le développement de l’histoire des femmes et du genre, Fédération de recherche sur le genre RING, SIEFAR société internationalepour l’étude des femmes de l’Ancien Régime.

– Revues : Cahiers du genre ; Clio. Histoire Femmes et Sociétés Genre et Histoire ; Genre, sexualité & société.

Les autres institutions et personnes qui souhaitent manifester leur soutien, qu’elles appartiennent au monde scientifique ou pas, liées aux questions de genre ou pas, peuvent le faire en ligne.

PlacefemmePF

2012

 

lundi 14 mai, présentation par Irène Jami au Lycée Mansart de Saint Cyr l’Ecole,

samedi 10 mars intervention d’Irène Jami à la bibliothèque deColombes, à l’occasion de la présentation du projet de « Musée de la Femme 2012 » soit 5 sculptures vivantes pour raconter l’histoire de la femme de la préhistoire de Lucy jusqu’aux années de révolte de Simone de Beauvoir.

 

2011

 

Vendredi 10 juin : 14h00 à 16h00 : « Premier Salon Méditerranéen des Publications de Femmes » à la Cité des Associations (93 la canebière); Conférence de Jean-Baptiste Bonnard, co-auteur de La place des femmes dans l’Histoire, une histoire mixte, éditions Belin, paru en novembre 2010, à l’initiative de l’association Mnémosyne pour l’histoire des femmes et réunissant 33 historiennes et historiens. Et, présentation en avant-première du livre Parisiennes de Malka Marcovich, paru aux éditions Balland en juin 2011, en présence de l’auteure.

Du 10 au 12 juin 2011 : 1er Salon Méditerranéen des Publications de Femmes

5 avril 2011 : Présentation par Françoise Thébaud à la mairie d’Arles (culture, droit des femmes) avec la librairie Forum Harmonia Mundi.

4 avril 2011 : Conférence autour du livre La place des femmes dans l’histoire paru aux éditions Belin en octobre 2010 avec Irène Jami, co-auteure de l’ouvrage, Lydie Bodiou, historienne, Université de Poitiers, spécialiste en histoire du genre, Anne Jollet, historienne, Université de Poitiers, coordonnatrices.

Bibliothèque Universitaire Sciences 1 rue Charles Claude Chenou POITIERS

Mardi 22 mars 2011 : Présentation par Françoise Thébaud à la bibliothèque de Saint-Égrève

Samedi 19 mars 2011 : Journée d’études Mnémosyne

Vendredi 18 mars 2011 : Signature au Salon du livre

Mercredi 16 mars 2011 : École normale supérieure de Lyon – Institut français de l’éducation

14h – 17h – Salle F008

Pascale Barthélémy présidente de Mnémosyne Maîtresse de Conférences en Histoire contemporaine École Normale Supérieure de Lyon

Présentation de l’ouvrage « La place des femmes dans l’histoire » Françoise Thébaud Professeure émérite d’Histoire contemporaine à l’Université d’Avignon

« Le regard d’une historienne américaine sur la place des femmes et du genre » Leora Auslander Professor of European Social History, University of Chicago

« Quelle place les programmes du collège et du lycée font-ils à l’histoire des femmes et du genre ? » Louis-Pascal Jacquemond Inspecteur d’Académie-Inspecteur Pédagogique Régional honoraire

« Enseigner la place des femmes en France dans la vie politique et sociale au XXe siècle (classe de 1re) » Michelle Zancarini-Fournel Professeure émérite d’Histoire contemporaine à l’Université Lyon I.

Echanges/Débat avec les présents sur leurs expériences et pratiques pédagogiques.

Samedi 12 mars 2011 : Noisy-le-Grand. Mars au féminin

L’histoire des femmes et du féminisme

/CONFÉRENCE / Un plateau d’historiennes, écrivaines, militantes et féministes pour débattre de la place des femmes dans l’histoire et de l’histoire du féminisme. Le droit de vote, la création du Mouvement de Libération des Femmes, l’émancipation des femmes seront abordés.

Les conférencières participeront à une séance dédicace de leurs ouvrages avec la contribution de la librairie noiséenne Folies d’encre.

Avec Geneviève Fraisse, philosophe et historienne de la pensée féministe française, Thérèse Clerc, militante de mai 68 et des mouvements féministes, Antoinette Fouque, co-fondatrice du Mouvement de libération des femmes, psychanalyste, philosophe, politologue et éditrice, Irène Jami, historienne et notamment co-auteur de La place des femmes dans l’histoire.

Sur réservation auprès de la Maison pour tous du Champy au 0145925349.

9 mars 2011 : Cafés Histoire Association Thucydide

Femmes de pouvoir – Femmes au pouvoir en France de la Révolution à nos jours

Horaires : de 20:00 à 21:30 Lieu : Bistrot Saint-Antoine 58 rue du Faubourg-Saint-Antoine 75012 Paris – Métro : Stations Bastille (lignes 1, 5, 8) et Ledru-Rollin (ligne 8) – Bus : Lignes 76 et 86, arrêt « La boule blanche ».

Intervenantes :

◦ Madame Janine MOSSUZ-LAVAU, politologue, directrice de recherche CNRS au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po. Chargée de cours au master d’histoire et de théorie politique de l’IEP de Paris. Elle est membre de l’Observatoire de la parité.

°Madame Séverine LIATARD, journaliste à La Fabrique de l’Histoire sur France Culture. Elle vient de faire paraître sa thèse consacrée aux femmes politiques depuis 1945 aux éditions Complexe.

◦ Madame Irène JAMI, coordinatrice du manuel « La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte », édité par l’Association Mnémosyne (Belin, 2010, 416 p.).

10 février 2011 : Café littéraire Centre Dugommier, 12 bd Dugommier, 13001 Marseille Forum Femmes Méditerranée & le Collectif 13 Droits des Femmes

04 91 91 14 89 -ffm13@wanadoo.fr – femmes-med.org

31 janvier 2011 : A l’occasion de la sortie de l’ouvrage  » La place des Femmes dans l’histoire » ,la Boîte à Livres organise une rencontre avec Irène Jami à l’Auditorium de la Bibliothèque Municipale de Tours.

11 janvier 2011 : BHVP « Comment évolue l’Histoire des femmes et du féminisme ? » Dans le cadre des manifestations culturelles organisées par Paris Bibliothèque toute l’année à l’occasion de l’exposition organisée par Annie Metz et Florence Rochefort.

Table ronde avec Michèle Perrot, historienne ; Annie Metz, conservatrice en chef responsable de la bibliothèque Marguerite Durand ; Florence Rochefort, historienne et chargée de recherche au CNRS (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités, EPHE/CNRS) ; Pascale Barthelemy, maître de conférences en Histoire contemporaine Lyon (ENS), présidente de «Mnémosyne». Animée par Alexie Lorca, journaliste au magazine Atmosphères, critique littéraire et réalisatrice de documentaires.

7 janvier 2011 : Master ETT-ENS Genre féminisme et mobilisations collectives‬

Site : ENS, Campus « Jourdan », 48 bd Jourdan, 75014 Paris Métro Porte d’Orléans, RER Cité universitaire. Coordination : Laure Bereni (CNRS-Centre Maurice Halbwachs), Marion Charpenel (Sciences-Po, CEE), Magali Della Sudda (Institut universitaire européen de Florence), Alban Jacquemart (EHESS, IRIS), Camille Masclet (Université de Lausanne, IEPI), Bibia Pavard (Sciences Po, Centre d’histoire)

L’histoire des femmes enseignée dans le secondaire

Intervenantes : Nicole Lucas (Université Rennes 2 – CERHIO, IUFM/UBO) : « Dépasser les carences de l’histoire des femmes enseignée, penser une histoire partagée et citoyenne et construire des pratiques équilibrées »

 

2010

 

Pascale Barthélémy (ENS de Lyon – LARHRA) : « Autour du manuel réalisé par l’association Mnémosyne : La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte, Belin, 2010 »

26 et 27 novembre 2010 : Journées d’automne critique co-organisées par le CVUH et la revue Cahiers d’histoire, à Bobigny.

22-24 Novembre 2010 : Colloque de l’IUFM de Toulouse autour de la masterisation des concours de l’enseignement sur le thème : L’égalité filles/garçons… » Compte rendu sur le site Snuipp-FSU

16 octobre 2010 : Rendez-vous de l’histoire à Blois

 

Trois initiatives :

à la Machine à lire , rencontre avec Françoise Thébaud autour du livre

publié sous l’égide de l’association Mnémosyne et qu’elle a co-dirigé :

La place des femmes dans l’histoire (éditions Belin).

 

co-organisée avec l’atelier Genre de l’université Bordeaux III et l’association Mnémosyme. Elle sera animée par Anne-Marie Cocula.

« Que transmettons-nous aujourd’hui à nos enfants ? Certes, une histoire riche et complexe. Mais son récit – au masculin ou au neutre pluriel – reste partiel et partial, en décalage avec la mixité de nos sociétés démocratiques et l’état de la recherche scientifique. En respectant les programmes scolaires actuels et les passages obligés de la culture historique des citoyennes et citoyens de demain, cet ouvrage tente de proposer un autre récit qui sorte les femmes de l’ombre. Ni geste héroïque au féminin, ni histoire victimaire, il présente le nuancier infini des relations entre hommes et femmes, rend compte de leurs actions respectives et s’interroge sur le sens que chaque société attribue au masculin et au féminin.

Chapitres de substitution et chapitres de complément forment la trame d’un livre d’histoire mixte et offrent un ensemble de dossiers documentaires adaptés à une exploitation pédagogique.

Destiné aux professeurs de l’enseignement secondaire et élémentaire, aux étudiants, aux parents d’élèves, il s’adresse également à tous les lecteurs et lectrices conscients que les femmes, comme les hommes, font l’histoire. »

Françoise Thébaud est professeure émérite d’histoire contemporaine à l’université d’Avignon et codirectrice de la revue Clio. Histoire, femmes et sociétés. Ses nombreuses publications d’histoire des femmes et du genre portent sur la guerre, la maternité, les féminismes, l’historiographie.

 

La Machine à lire – 8, place du Parlement – 33000 Bordeaux – France

tél : 33 (0)5 56 48 03 87 – fax : 33 (0)5 56 48 16 83

 

Le Séminaire du Centre d’Etude des Mondes Modernes et Contemporains,

Réseaux de femmes, femmes en réseaux : approches méthodologiques

Organisé par D.Dussert-Galinat et D.Picco Pessac,

Université Bordeaux3, 7 mars 2012, 14h30-17h30, MSHA salle 2

avec

– Pascal Cristofoli (EHESS) : Partir des femmes et des relations pour étudier une société villageoise. Une première partie de l’exposé rappellera les principes méthodologiques de l’analyse des données relationnelles et des réseaux sociaux, en insistant notamment sur les changements de focale d’observation qu’elle autorise. Nous présenterons ensuite quelques résultats d’une recherche en cours sur l’histoire démographique, politique et sociale du Val de Bagnes qui s’intéresse explicitement au rôle des femmes dans une telle société . Cela nous permettra d’interroger de manière réflexive la place des femmes à chacune des étapes de la recherche (sources, méthodologies et analyses) et d’envisager les apports spécifiques de cet angle d’observation pour l’étude de la parenté et de la sociabilité villageoise, économique et politique…

– Cyril Grange (CNRS) : Les réseaux d’alliances de la bourgeoisie juive parisienne au XIXe siècle : une analyse à partir du logiciel Puck (Program for the Use and Computation of Kinship data) Le logiciel Puck (Program for the Use and Computation of Kinship data) résulte d’une rencontre entre ethnologues et historiens autour d’un projet commun : l’analyse systématique des relations de consanguinité et de mariage à partir de nouveaux outils conceptuels et techniques. L’exposé sera consacré à une présentation des principales fonctionnalités de Puck ainsi qu’à certaines conclusions tirées à partir de l’observation d’un réseau composé des familles de la haute bourgeoisie juive financière et industrielle installée à Paris à la fin du XIXe. On a pu notamment relever l’émergence de figures utérines à partir de 1880 qui ne doit cependant pas être lue comme l’introduction d’une nouvelle forme d’alliance en tant que telle mais plutôt comme le résultat de l’effacement des unions agnatiques, largement dominantes auparavant.

– Françoise Thébaud (université d’Avignon), Histoire des femmes et du genre et analyse des réseaux : questionnements, méthodes, apports Après avoir rappelé ce qu’est le projet historiographique de l’histoire des femmes et du genre, je m’interrogerai sur la place (faible et récente) des questionnements en termes de réseaux, sur les méthodes empiriques que le champ de recherche met en œuvre pour les appréhender et les sources qu’il mobilise, sur les apports de ces recherches. Je développerai particulièrement la question des réseaux militants (notamment féministes) et l’intérêt des correspondances militantes.

 

Journée de la femme « Féminin plurielles »

Tables rondes (programme en fichier pdf) organisées par le Conseil général de la Gironde

A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le Conseil général de la Gironde invite toutes les femmes à une journée d’échanges, de débats sur de nombreuses questions relatives à la place de la femme dans la société, les résistances tenaces……..

 

Membre de Mnémosyne, Louis-Pascal Jacquemond fait partie des 33 historien-ne-s qui ont rédigé le manuel. Il est agrégé d’histoire, diplômé en droit et en géographie, docteur de troisième cycle en histoire contemporaine. Il a été instituteur, professeur, puis inspecteur d’académie jusqu’en 2010.

Quelle est la genèse de ce manuel ?

Le projet est à l’initiative du collectif Mnémosyne, un groupement d’historiens dont le noyau dur était constitué au départ d’historiennes autour de Michelle Perrot, de Françoise Thébaud…
Ce projet nous tenait à cœur depuis sept ou huit ans et nous avons contacté plusieurs éditeurs, sans succès. Nous avons été soutenus par la région Ile-de-France et Belin a trouvé que notre initiative correspondait chez eux à un projet d’ouvrages destinés aux enseignants pour épauler les manuels scolaires.

Qu’est-ce qui a motivé la création de cet ouvrage ?

D’abord un aspect militant. Nous considérons que la dimension du genre et des femmes est très insuffisamment enseigné en histoire et que la vulgarisation des connaissances sur l’histoire des femmes mérite d’être développée.

L’histoire des femmes est devenu un champ de recherche et de publications reconnu, et dans les enseignements universitaires, le genre a été bien introduit. Parmi les questions du Capes ou de l’agrégation par exemple, il n’est pas rare que certaines abordent la question des femmes. Mais ce qui me gène c’est que le sujet des femmes ne soit considéré que comme une partie de l’histoire et non comme une focale. Alors qu’implicitement on enseigne l’histoire sous la focale hommes.

Malgré les progrès observés dans l’enseignement supérieur, les manuels scolaires, de l’école primaire au lycée, n’abordent l’histoire que sous un angle masculin.
J’étais inspecteur d’académie chargé notamment des programmes d’histoire et géographie. Nous n’étions que quelques-uns à vouloir faire bouger les programmes.

L’ouvrage s’adresse aux enseignants. Or, ceux-ci se plaignent souvent de programmes surchargés, ne craignez-vous pas une réticence à l’égard de ce qui pourrait leur sembler une « charge » supplémentaire ?

L’ambition du livre c’est de montrer aux enseignants que sur le même thème on peut avoir une autre focale et entrer par le sujet des femmes. Nous ne voulons pas alourdir les programmes.

On peut, par exemple, enseigner le 19e siècle en parlant des femmes peintres et écrivains, ça ne coûte rien. Ou la Révolution française à partir des portraits de femmes d’Arthur Young, un anglais qui circule en France de 1787 à 1789. Ses portraits de paysannes suffiraient à parler de leur activité, de l’agriculture, à décrire la société, les rapports de pouvoir, les rapports à la terre. Cela ne constitue pas un changement radical de l’enseignement de l’histoire, c’est juste une approche différente.

Dans la préface du livre, Michelle Perrot estime que « proposer une histoire mixte peut faire comprendre aux garçons et aux filles d’aujourd’hui le présent parfois énigmatique de leurs relations » ?

J’en suis convaincu. Au travers d’un tel enseignement, il y a une finalité civique très forte. Il faut permettre aux filles et aux garçons de ne pas reproduire de manière implicite une culture inscrite dans un modèle de domination masculine, dans l’idée qu’il y a des assignations sexuées et que certains métiers se déclinent obligatoirement au masculin. C’est important que dans l’enseignement il y ait des figures exemplaires.

La seule matière enseignée dans laquelle on aborde les rapports hommes-femmes, c’est en SVT (sciences de la vie et de la Terre) avec l’enseignement de la reproduction humaine et de l’éducation sexuelle. Le problème c’est que l’on parle d’une naturalité des différences. Les femmes portent les enfants, il peut donc être perçu comme naturel par les élèves le fait qu’elles s’en occupent. Si d’autres matières n’abordent pas l’égalité des sexes ou l’analyse des rapports hommes-femmes, l’approche « naturelle » peut-être dangereuse.
Si l’enseignement, et pas seulement en histoire, ne crée pas suffisamment de références masculines et féminines on ne fera que reproduire les stéréotypes, les pratiques actuelles. Le plafond de verre que subissent les femmes actuellement fonctionne en grande partie à cause de cela.

Vous êtes 7 hommes sur 33 historiens à avoir contribué à la rédaction du livre. L’histoire des femmes et du genre est-elle encore plutôt une affaire de femmes ?

Ce sont en général les femmes qui traitent les thèmes abordés dans le manuel. Au départ, il ne devait y avoir que des femmes dans le projet. Puis le parti pris a été de chercher à chaque fois le ou la spécialiste du thème.
Fabrice Virgili, par exemple, est spécialiste des relations de genre pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a travaillé notamment sur les femmes tondues à la libération et aborde cette stigmatisation physique comme une façon pour les hommes de se dédouaner de ne pas avoir été viril à un moment donné. Il est le seul à avoir travaillé sur ce sujet.

En tant qu’homme, qu’est-ce qui vous a poussé à envisager l’histoire sous l’angle des femmes ?

J’avais 20 ans en 1968, j’étais entouré de filles, du MLF ou non. Les discussions sur les rapports hommes-femmes étaient nombreuses. Quand je me suis marié, une question essentielle était la répartition des tâches ménagères. Est-ce que mon vécu à cette époque est le déclencheur ? Je ne sais pas.
Et puis, j’ai été élevé par des femmes et c’est mon arrière-grand-mère me racontant la vie de ses aïeules qui m’a donné le goût de l’histoire.

Vous considérez-vous féministe ?

Je ne sais pas, c’est perçu comme ça en tous cas.
Ma femme dirait que non…

Propos recueillis par Catherine Capdeville – EGALITE

Alternatives Économiques, hors-série poche n°051, Le Temps des femmes, « Une trop petite place dans les livres d’histoire », septembre 2011.

Plece-AlternativesEconomiques

Controverse autour d’un féminisme à la française, dossier réalisé par Pascale Barthélémy, MCF d’histoire contemporaine, ENS de Lyon, dans le cadre du séminaire interdisciplinaire sur le genre, ISH, Lyon.

Suite à la mise en ligne du dossier « Controverse autour d’un féminisme à la française », Geneviève Fraisse nous a adressé les deux textes suivants écrits cet été pour Regards et Libération.

Une si désirable égalité des sexes

http://www.regards.fr/idees/une-si-desirable-egalite-des-sexes

Par Geneviève Fraisse, 20 juillet 2011

La vraie question n’est pas morale, ce n’est pas celle de la frontière entre vie privée et vie publique. Geneviève Fraisse, philosophe, interroge la notion d’égalité des sexes à l’aune de l’affaire DSK.La philosophie morale encercle les débats dits de société; le bien et le mal sont des repères obligés. Or le débat moral esquive l’historicité de l’égalité des sexes.Alors ma proposition, sur un tout autre registre: l’«affaire DSK» ne dépend ni d’un débat moral sur la bonne et la mauvaise sexualité ni de la ritournelle sur l’inévitable frontière entre vie privée et espace public. Il suffit juste de prendre au sérieux le mot «égalité», celui de l’égalité des sexes, et de voir son effet théorique et politique sur des affaires classiques de la vie humaine, la vie sexuelle et le statut de l’intimité…D’abord l’imaginaire …Pas de sexualité sans fantasmes, sans rapports improbables, sans limites décentes franchies. Oui, le sexe a à voir avec l’excès plutôt qu’avec la maîtrise. Alors que peut produire l’égalité dans ce lieu de l’imaginaire qui est aussi un espace réel?On se souvient que le mariage fut longtemps le garant de cette situation risquée, celle du rapport sexuel. Du point de vue d’aujourd’hui, la question est plus globale, l’institution de la relation sexuelle est marginalisée et c’est pourquoi tout le monde est obsédé par la «frontière » entre public et privé. Or le débat est ailleurs.Deux remarques: la première est simple, elle touche au consentement dans sa mutualité, sa symétrie. C’est cela l’égalité : non pas la vérification du bon (ou mauvais) consentement – dont on sait que seul le sujet, en connaît la teneur, «de vous à vous-même», comme dit Pascal -, de sa véracité ou de sa contrainte, mais l’égal vis-à-vis, le jeu du même plan entre deux personnes, pour un oui, ou pour un non.On sait aussi que la hiérarchie est tapie dans nos gestes, la hiérarchie des consentements (adhérer ou accepter?), la hiérarchie du service domestique, héritage des temps ante-démocratiques. Mais l’horizontalité de l’égalité, mutualité, symétrie, est le présent politique contemporain ; et pourtant encore neuf si l’on en croit les réactions aux affaires récentes.De l’égalité en plein dans cet espace imaginaire de la vie sexuelle? Oui. Alors plus personne n’a à craindre qu’une frontière entre privée et public soit mal tracée. Ce n’est pas la vie privée, intime, qui est en danger, c’est le risque du partage qu’il faut accepter, celui de l’égalité face à l’imaginaire du sexuel. C’est simple, et c’est tout.Puis le symbolique…La mixité culturelle et libertine de l’Ancien Régime aurait fabriqué, dit-on, une tradition française? Non, c’est prendre l’effet pour la cause. Le temps précédant la démocratie postrévolutionnaire fut peut-être le creuset du plaisir d’une vie sociale emplie de désirs équilibrés ; il fut aussi celui du sceau monarchique de la masculinité divine qui indique clairement la symbolique du côté d’un seul sexe. La puissance abstraite de l’incarnation de Dieu sur la terre, doublée d’une référence à la transmission du trône de mâle en mâle (inscrite dans la loi par un décret d’octobre 1789), a doté le pouvoir politique d’un fort coefficient sexué.Ainsi, aujourd’hui encore, tout ce qui touche au pouvoir, ici, en France, s’adosse à la symbolique masculine. Gageons que notre liberté des moeurs en est simplement le complément dans le réel: comme une affaire d’équilibre, la rigueur symbolique se compense d’arrangements concrets.Alors les pouvoirs, politiques, médiatiques, académiques aussi, sont bien l’héritage d’une capacité de droit divin si joliment renforcé par la transmission (établie par la Révolution, je le souligne) masculine… En somme, je vous parle de l’envers du décor: derrière la galanterie et la mixité du salon d’Ancien Régime, la certitude du sexe du dominant. Alors le féminisme se comprend comme une simple proposition d’égalité, y compris dans les lieux de pouvoir.Je traîne depuis trop longtemps dans la pensée féministe, vaille que vaille, pour ignorer l’âpreté de l’affrontement. L’enjeu? Ne pas toucher au symbolique, nous amuser avec un peu de querelle sur la mixité à la française, et ne pas parler d’égalité.Ce que l’égalité des sexes peut faire au symbolique, c’est comme un crime de lèsemajesté… Mais si l’égalité intervient comme outil politique des relations humaines, alors l’espace domestique sera reconnu, comme l’espace public, comme un lieu de pouvoir, donc de partage de ce pouvoir.Alors on se souviendra de Kant et on le laissera derrière nous: il nous dit qu’une personne, dans le désir, devient chose? Non, elle est un sujet désirant qui est aussi objet de désir. On peut être sujet et objet dans le jeu du sexe. Mais l’objet du désir n’a rien à voir avec la chose. Une femme violée n’a pas été traitée en objet (voire en marchandise), mais bien en chose. Cette distinction est cruciale. Et cette inégalité de traitement, entre une personne et une chose, peut être mortelle. C’est pourquoi l’égalité de sexes est si désirable…

Affaire DSK: le fait divers, c’est du politique

Par Geneviève Fraisse, Directrice de recherche CNRS, 11 août 2011.

Cinq idées, cinq bornes sur le chemin du politique contemporain. La spectaculaire «affaire DSK» est ici centrale et non périphérique… Tel est mon propos, ma proposition de réflexion.L’histoire du service, du service domestique, vient en amont de notre démocratie. Que devient cette situation ancestrale après la Révolution française? Il est toujours utile de rappeler que Proudhon, penseur du mouvement ouvrier, classait les femmes en «courtisane ou ménagère». Or la citation se complète d’un «et non pas servante». Dans son monde de l’égalité sociale, il y aura du sexe et du ménage, mais pas dedomestique! Or le troisième terme, «la servante», disparaît dans la saga socialiste: «putain ou maman», mais pas domestique, cela ferait désordre dans l’attribution des places sexuées du monde à venir. Les femmes, avant d’être des personnes (travailleuses ou citoyennes), ont un statut: ménagère, prostituée, servante. Au XXe siècle, la servante laisse place à l’emploi de service, à la «femme de ménage». On passe donc du statut à la fonction. Mais de la femme et du ménage, qu’en dit la pensée démocratique? Le service implique la hiérarchie. On en pense quoi, en politique?L’histoire du consentement de l’individu contemporain se pense au présent de notre démocratie: la généalogie politique du citoyen, avec la volonté d’adhérer au contrat social et la reconnaissance du consentement mutuel pour se marier, et surtout pour divorcer. Il y a bien là une personne juridique, celle qui contracte, qui dit oui ou qui dit non. Personnage abstrait, abstrait de toute contingence de sexe, de classe, de race, d’emploi. Or la position juridique de la personne qui consent se double, n’en déplaise au libéralisme politique, d’une situation donnée. Alors le consentement individuel (pas seulement sexuel) apparaît dans une complexité remarquable et qui prend la forme d’un cube: trois histoires possibles, l’union sexuelle ou conjugale, le contrat social dans son ensemble, et l’individu contemporain dans son autonomie. Et à chaque fois deux possibilités à ce consentement: libre ou éclairé, tacite ou explicite; et puis une alternative toujours présente: donner ou arracher un consentement, choisir ou accepter le rapport à l’autre… Consentir: nous n’avons pas fini d’en parcourir les arcanes; nous n’y trouverons aucune vérité (le bon ou le mauvais consentement…) mais nous comprendrons que ce mot ne saurait suffire à donner une bonne ou une mauvaise conscience politique. Dire oui ou dire non, c’est bien; mais à qui, à quoi?L’histoire de la frontière privé-public, fil rouge passé, présent ou futur, dans la dynamique démocratique. Que cachent les cris de celles et ceux qui défendent une frontière entre les deux espaces, les deux vies? Une réalité simple, et visiblement dérangeante: les deux lieux, privé et public, marchent ensemble, dans un régime démocratique comme dans un régime monarchique. Mais la démocratie fait rupture dans ce qu’elle rend possible, à savoir l’égalité, l’égalité sociale certes, mais aussi l’égalité entre les femmes et les hommes. Or cela change tout: la notion d’égalité peut s’introduire jusque dans la chambre à coucher. Peu importe que cela soit visible ou pas, ou que le privé se confonde avec l’intime. Penser l’égalité sexuelle est un enjeu important. On comprend que le penseur du Contrat social veuille tenir hors d’atteinte du politique l’espace conjugal et domestique. Le geste de Rousseau est limpide: l’analogie entre famille et cité (père et roi) est obsolète. En effet si père et monarchie vont tranquillement de pair, on ne saurait imaginer, à l’inverse, que l’égalité citoyenne inspire et produise de l’égalité conjugale. Tocqueville, puis Alain diront de même. Or, la démocratie n’a pas à maintenir une frontière entre privé et public, mais à établir une cohérence entre les deux.L’histoire de la France sert d’argument au présentféministe: on aime le jeu de positions entre les deux côtés de l’Atlantique, avec distribution des cartes de la radicalité de l’émancipation des femmes (modérée ou intransigeante). Il y aurait un féminisme français adossé à une galanterie politique, sociale, domestique, légendaire, et un féminisme anglo-saxon fait d’affrontement catégoriel de sexe à sexe. Il y aurait une mixité de bon aloi, opposée à une logique clairement revendicative. Or le féminisme français, né à l’ère post-révolutionnaire, nous explique le mécanisme de la domination masculine comme un tout: la galanterie, ou mixité, est le contrepoint d’un pouvoir masculin fortement symbolique. Le réel de nos bonnes mœurs est comme la compensation d’un absolutisme marqué d’un seul sexe, le sexe mâle; le réel convivial est la pratique d’une soumission à une domination masculine d’autant plus puissante. Symbolique et transcendance masculine ne sont supportées que par un jeu de rôles et d’agrément entre les deux sexes. En bref, il s’agit d’un recto versode la domination, pas d’une tradition meilleure qu’une autre. L’intérêt de l’histoire? Loin d’un service idéologique, la conscience d’un enjeu politique, celui de l’émancipation des femmes.Un fait divers ne fait pas de la politique dit-on avec insistance. Deux remarques, pour finir: la reconnaissance du viol appartient à l’actualité de notre temps (la personne et son consentement; le corps à soi, entre être et avoir). Oui, mais la sexualité se tient hors de la grande histoire, ajoute-t-on alors.C’est peut-être vite dit. Je ne conteste pas la hiérarchie des affaires, affaires du monde, affaires de sexe. Mais l’économie qui pense les échanges, les moyens d’échange, les lieux de l’échange, ne saurait être indifférente à ce qu’un fait divers change la politique. On disputait jadis pour savoir si ce sont les hommes ou les structures qui font l’histoire. Que les sexes fassent l’histoire pourrait aussi être entendu sérieusement, politiquement. Ceux qui dénoncent une «instrumentalisation» de cette affaire sont sourds à l’histoire humaine: les sexes sont une monnaie d’échange, y compris en politique.

Dossier réalisé par Pascale Barthélémy, MCF d’histoire contemporaine, ENS de Lyon, dans le cadre du séminaire interdisciplinaire sur le genre, ISH, Lyon.

► Le 13 juillet 2011, tribune d’Éliane Viennot (Université Jean Monnet & Institut universitaire de France. Vice-présidente de l’Institut Emilie du Châtelet) sur Egalité-info, «Affaire DSK, féminisme et exception française».

http://www.egalite-infos.fr/

Travaillant de longue date sur l’exception française en matière de relations de pouvoir entre les femmes et les hommes en France (1), j’observe avec beaucoup d’intérêt les propos tenus sur ce sujet dans la presse depuis que l’affaire DSK a éclaté. Jusque récemment, aucune explication ou presque sur ladite exception.

La notion a surgi, sous forme de critique, de la presse étrangère, qui, s’adressant à son homologue hexagonale, a épinglé sa connivence mafieuse avec la classe politique, l’accusant de confondre respect de la vie privée et silence sur les pratiques sexuelles délictueuses ou criminelles – et, accessoirement, de découvrir les horreurs auxquelles sont soumis les justiciables (les conditions de détention déplorables, l’aspect odieux des pressions médiatiques…) quand ce sont les grands de ce monde qui y sont confrontés.

Les réponses à ces accusations – fondées – n’ont pas toujours été brillantes, et l’on a pu réaliser qu’une partie des élites françaises n’a toujours rien compris des luttes que mènent depuis trente ans les femmes (et plus récemment les hommes) victimes de violence sexuelles. Ici et là, dans ces articles, on a repris l’idée de «l’exception française», souvent pour faire mea culpa – ce qui constitue un progrès incontestable, tant l’ordinaire réaction est de nous draper dans notre fierté et de revendiquer haut et fort ce que nous reprochent les Anglo-Saxons. Mais d’explication, point. Serions-nous toujours secrètement ravis d’être exceptionnels, quitte à être coupables?

Bien sûr, la galanterie française !

Faute d’explication, des tentatives de rationalisation ont néanmoins surgi, qui ont tout l’air de prendre le contrepied de ces mea culpa nécessaires, si ce n’est suffisants. Les journalistes étrangers ont peut-être raison de nous trouver complaisant/es; mais c’est qu’ils ne savent pas que nous avons, nous, une autre manière de traiter les choses… Nous avons une culture (nous). Un passé (nous). Nous avons Louis XIV (nous). Et la galanterie française. Et, par dessus le marché, un «féminisme à la française», évidemment bien plus sophistiqué que les autres. C’est ce que réaffirment Claude Habib, Mona Ozouf, Philippe Raynaud et Irène Théry dans un récent article pour l’essentiel destiné à renvoyer l’historienne américaine Joan Scott s’occuper de ses oignons, au lieu critiquer ce qu’elle appelle «la théorie française de la séduction» (2).

Tout en saluant l’entreprise qui consiste à essayer de comprendre ce qui se passe, je m’élève, après Joan Scott elle-même, contre cette analyse, qui pêche selon moi autant contre la vérité que contre l’éthique et le féminisme. Contre la vérité: n’en déplaise à Mona Ozouf, qui a déjà défendu l’idée dans Les Mots des femmes (1995), il n’est qu’à ouvrir des histoires du féminisme ou lire les blogs féministes pour le constater. Les Christine de Pizan, les Marie de Gournay, les Gabrielle Suchon, les Hubertine Auclert, les Florence Montreynaud… n’ont jamais servi de doux euphémismes en lieu et place de critiques, ni confondu ce qu’elles faisaient ou font dans leur chambre avec ce qu’elles revendiquaient et revendiquent dans la cité.

Contre l’éthique: ce «féminisme à la française» revient surtout, dans cet article, à suggérer que cette pauvre Joan Scott (qui est spécialiste de la France, rappelons-le (3)) ne comprend ni notre culture, ni même notre langue; c’est faire jouer bien tristement la fibre nationale et surtout celle de l’anti-américanisme, toujours très efficace quand on veut repousser quelque chose. Contre le féminisme, enfin: car « le procureur Joan Scott» est l’une des féministes contemporaines les plus importantes (ce qui n’empêche pas de l’inviter à en rester au commentaire de ce qui est écrit, et à s’abstenir de procès d’intention (4)).

À l’heure où l’enseignement du genre, qui doit bientôt être dispensé en lycée (plus de vingt-cinq ans après l’introduction du concept dans le débat public français (5)), est attaqué par les catholiques intégristes, celle à qui on le doit devrait être identifiée comme l’une de nos meilleures alliées, puisque ce concept aide à réaliser que la domination masculine est un fait de culture et non de nature. By the way : le mot «procureuse» arracherait-il la plume à nos polémistes? Ne savent-elles pas – je mets le il dans les elles – que la masculinisation de la langue française est un produit culturel, issu d’un effort poursuivi avec ténacité depuis le 17e siècle par les partisans de «l’ordre naturel» ? Et que le mot a été employé durant tout l’Ancien Régime (6)?

Sommes-nous encore des Précieuses ridicules ?

Oublions donc le «féminisme à la française», cette invention récente et sans bases historiques (qu’il y ait une manière française de déconsidérer le féminisme, en revanche, est attesté depuis – au moins – les Précieuses ridicules). Reste la complaisance du monde médiatique français, au sens large du terme (des patrons de presse aux journalistes, en passant par les éditorialistes, les essayistes, les «intellectuels», les universitaires…) à l’égard des pratiques sexuelles douteuses, voire délictuelle des hommes de pouvoir. Restent les confusions partagées par une bonne partie de ce petit monde, malgré des décennies d’explications de texte, de rapports, de votes de lois et de procès, entre séduction et harcèlement, entre virilité et domination, entre consentement et soumission, entre femme et objet de plaisir…

Et regardons les bons objets. Non pas Louis XIV, qui faisait ce qu’il voulait puisqu’il était «monarque absolu», mais les intellectuels et les artistes autour de lui, qui ont chanté avec complaisance, pour lui plaire et pour faire carrière, le droit des puissants – et eux seuls – à aimer sans contrainte; ou les historiens qui ont fermé les yeux sur les violences morales imposées à ses compagnes.

Regardons Henri IV, dont les contemporains condamnaient les frasques, mais dont les lettrés du 18e siècle ont fait le super héros qu’il est resté; et Voltaire le premier, qui a défendu l’idée que la puissance sexuelle est inséparable de la puissance politique, et qu’on ne saurait rien reprocher à un «grand roi» dans ce domaine (sauf à être bégueule, attardé, provincial… américain?).

Regardons les liens qui unissent, en France, depuis la fin du moyen âge, le milieu politique et la «clergie» (la classe intellectuelle), dans le monde clos, hyper centralisé, de la capitale ou de la cour.

Regardons les centaines de textes écrits pour vanter la plus grande, la plus belle exception française: la supériorité du seul royaume à ne pas «tomber en quenouille», à être resté fidèle à la «loi naturelle» (de la domination masculine)! Et les cohortes d’historiens qui n’ont rien voulu voir, ou dire de cette fable; et qui ont consciencieusement travaillé à faire disparaître les femmes de l’histoire de France – y compris celles (une grosse vingtaine) qui ont gouverné ce pays.

Oui, regardons notre culture, notre histoire. Cela nous aidera à comprendre pourquoi nous en sommes là, et peut-être comment nous en sortir. Ce qu’aucun mea culpa n’a jamais permis.

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(1) La France, les femmes et le pouvoir, Paris, Perrin. 1. L’invention de la loi salique (5e-16e siècle), 2006; 2. Les résistances de la société (17e-18e siècle), 2008; 3e vol. en cours.

(2) «Féminisme à la française: la parole est à la défense», Libération «Rebonds», 17 juin 2011; l’article faisait suite à un article de Joan Scott titré «Féminisme à la française», Libération «Rebonds», 9 juin 2011.

(3) Après sa thèse sur les ouvriers verriers de Carmaux (1974), Joan Scott a donné plusieurs ouvrage sur l’histoire des femmes, dont La Citoyenne paradoxale : les féministes françaises et les droits de l’homme, 1998; Parité ! L’universel et la différence des sexes, 2005.

(4) Son évocation, dans l’article du 9 juin, de la «méfiance à peine voilée [d’Irène Théry] concernant les motifs d’une femme immigrée, de couleur, issue de la classe ouvrière» est sans fondements textuels dans le texte incriminé (Irène Théry, «la femme de chambre et le financier», LeMonde.fr. du 23 mai).

(5) Joan Scott «Le genre: une catégorie utile d’analyse historique», in Le Genre de l’histoire, Cahiers du GRIF (Paris), printemps 1988; les féministes françaises utilisaient auparavant le concept «sexe social», qui recouvre la même idée – mais qui n’a pas eu la même fortune.

(6) Voir www.siefar.org, rubrique «la guerre des mots».

Et pour d’autres articles de la presse généraliste: Tribunes, opinions, chroniques, interviews… sur le site de Adéquations: CTRL + clic pour suivre les liens.

Dans la presse généraliste Dans la presse étrangère Un regard critique sur le traitement médiatique de « l’affaire DSK » La petite jurisprudence, toujours bonne à prendre Le coin des ringard-es et stéréotypé-es.

Dossier réalisé par Pascale Barthélémy, MCF d’histoire contemporaine, ENS de Lyon, dans le cadre du séminaire interdisciplinaire sur le genre, ISH, Lyon.

►Le 30 juin 2011, dans Libération, Laure Bereni (sociologue), Rose-Marie Lagrave (sociologue), Sébastien Roux (sociologue), Eleni Varikas (politiste): «Le féminisme à la française, çan’existe pas» «Féminisme à la française»?.

Avec ou sans guillemets, l’expression suggère qu’un féminisme à la française existerait bel et bien. Si nul ne peut nier que des configurations féministes singulières se soient actualisées selon les contextes sociaux, politiques et religieux dans différents pays, force est de constater que les transferts culturels de pays à pays ont été la matrice des argumentaires et souvent des référents pour les luttes féministes. Tel est le cas aussi pour la France. S’il est vrai que le féminisme américain s’est beaucoup inspiré d’auteures françaises, à commencer par Simone de Beauvoir, la sociogenèse du féminisme des années1970 en France, puis des études de genre, objet de nombreux enseignements, séminaires et colloques, a depuis longtemps établi le constat d’une dette à l’égard des théoriciennes et militantes américaines, et plus largement anglophones. Et à Joan Scott en tout premier lieu. On lui doit en effet la définition du genre, «catégorie utile d’analyse» pour les sciences sociales. Ce concept déjà travaillé par des sociologues a permis de réaliser un saut qualitatif et décisif, notamment en histoire. Le succès des études de genre est d’ailleurs tel que s’en réclament aujourd’hui ses adversaires d’hier – au risque d’usages aseptisés. On doit aussi à cette historienne, au moment des débats sur la loi en faveur de la parité politique, avec la publication de la Citoyenne paradoxale, de nous avoir permis de rendre visible un travail déjà initié, et de porter un regard critique sur un républicanisme auquel certain(e)s, dont deux des signataires de ce texte, n’étaient pas insensibles. Il est donc confondant que, dans le Rebond du 17 juin, une collègue de la stature de Joan Scott soit soupçonnée de «ne savoir pas lire», de faire des «contresens», elle, «professeur au prestigieux Institute for Advanced Study (et non Studies) à Princeton», elle, mise en position d’élève à qui il faudrait «expliquer que les différences s’opposent à la similitude, mais non à l’égalité, qui est tout autre chose». Même dans le cas où Joan Scott aurait fait un contresens, est-ce une raison pour débattre sur un ton condescendant et méprisant, souligné de surcroît par un dessin qui légitime ce ton dédaigneux? Disqualifier l’adversaire intellectuel en s’érigeant en maîtres d’école : la posture est commode. Elle évite en effet le débat argumenté sur le fond. Or quel est le fond de l’affaire? La place et le rôle de la séduction et du consentement. Si le genre est nié, en même temps que l’argument de Joan Scott, c’est pour mieux dénier le pouvoir qui en est le principe. En outre, faire de la séduction la clé d’un harmonieux commerce entre hommes et femmes, c’est oublier que séduire, c’est parvenir à conduire l’autre sur son propre terrain. Or les deux protagonistes engagés dans un rapport de séduction ne sont pas des individu(e)s désocialisés, affranchis des inégalités et libres des rapports de force. Mettre en équivalence et en égalité les deux acteurs, c’est penser la séduction sur le mode de la magie qui annulerait les inégalités incorporées dans les esprits. Dans la littérature française dont se réclament les critiques de Joan Scott, ce sont les filles qui fréquemment sont séduites, devenant parfois des filles déshonorées, abusées. Exit donc la relation dominants-dominés qui ferait obstacle à la complexité des relations sociales. Exit le «Quand céder n’est pas consentir» de l’anthropologue Nicole-Claude Mathieu. Congédiées les études de genre au profit de recherches sur la différence des sexes. La domination masculine est forclose. On lui substitue une civilisation apaisée des m¦urs dont la séduction serait le maître mot. Etrange que la séduction soit présentée comme le pilier de la réconciliation des «sexes». Etrange que la séduction apparaisse comme une réponse politique à l’heure où la violence conjugale, l’écart des salaires et des retraites, le chômage des femmes et d’autres inégalités constituent encore et toujours le lot quotidien de la majorité des Françaises. Etrange encore qu’au moment où le féminisme constitue une internationale nouvelle manière, la séduction serve de socle au «féminisme français». Au lieu de nous réfugier dans une illusion d’«exceptionnalité», il nous faut dialoguer avec toutes les formes de féminismes. Y compris, pourquoi pas, avec ce «féminisme français», à condition qu’il n’ait pas l’ambition de vouloir représenter l’ensemble du féminisme en France. La renationalisation qu’il propose constituerait plutôt une consolidation de son aile conservatrice, ou une déclinaison nouvelle au sein de la nébuleuse féministe actuelle. En effet, dans les années1970, le «F» du MLF signifiait femmes, et non français. Aujourd’hui, et c’est un choix politique, veut-on vraiment inscrire le féminisme à la française au patrimoine de l’identité nationale, en dotant d’une arme supplémentaireun arsenal déjà dangereusement sexué? Les quatre auteurs, féministes et de générations différentes, expriment, à cet égard, une légitime inquiétude.

 

Controverse autour d’un féminisme à la française, dossier réalisé par Pascale Barthélémy, MCF d’histoire contemporaine, ENS de Lyon, dans le cadre du séminaire interdisciplinaire sur le genre, ISH, Lyon.

►Le 29 juin 2011, dans Le Monde, Eric Fassin, chercheur, « L’après DSK, pour une séduction féministe».

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/06/29/l-apres-dsk-pour-une-seduction-feministe_1542181_3232.html

A propos de l’affaire Strauss-Kahn, Alain Finkielkraut n’hésite pas à parler de viol dans une tribune publiée dans Le Monde daté 15 juin. Non pas, certes, pour qualifier « les faits qui lui sont reprochés », mais pour dénoncer l’atteinte à la vie privée dont nous menaceraient désormais les journalistes français qui regrettent leur silence passé. Et d’invoquer la « parole antitotalitaire » de Milan Kundera : « le vrai scandale, ce n’étaient pas les mots osés de Prochazka, mais le viol de sa vie. » Le verdict tombe: « les arracheurs de rideaux sont des criminels. » Un mois après l’arrestation du patron du FMI, la France a bien changé : la norme d’hier paraît soudain anormale. Les premières réactions trahissaient surtout une solidarité sociale. Toutefois, leur discrédit immédiat manifestait une rupture d’intelligibilité dans le langage public. Bernard-Henri Lévy, Jack Lang, Robert Badinter ou Jean-François Kahn avaient sans doute le sentiment de parler comme on l’a toujours fait dans les cercles du pouvoir. Il n’empêche: d’un coup, ils sont devenus incompréhensibles. Le paysage commun était bouleversé; ils ont alors semblé des hommes du passé, brutalement dépassés.

Cet événement n’est pas le reflet d’une culture française intemporelle; au contraire, le choc fait advenir une culture nouvelle. Et beaucoup de s’interrogerrétrospectivement : le respect de la vie privée n’aurait-il pas servi de prétexte au déni des rapports de pouvoirentre les sexes? Le rejet du féminisme américain, au nom d’une exception française, aurait-il permis l’exclusion du féminisme tout court? Notre société, si prompte à dénoncer les violences sexuelles, pourvu qu’il s’agisse des banlieues, a-t-elle fermé les yeux sur le harcèlement sexuel à l’Assemblée nationale ou dans l’Université?

C’est pour conjurer ce retour du refoulé féministe que s’élève aujourd’hui une nouvelle vague de réactions. Il ne s’agit pas seulement d’Alain Finkielkraut; lorsqu’il dénonce « le procès des baisers volés, des plaisanteries grivoises et de la conception française du commerce des sexes », c’est en écho à Irène Théry (Le Monde du 29 mai). Contre Joan Scott, figure de proue internationale des études de genre, la sociologue revendique en effet « un féminisme à la française » qu’elle caractérise, sans craindre le paradoxe, comme « universaliste ».

Pour Irène Théry, ce féminisme « refuse les impasses du politiquement correct, veut les droits égaux des sexes et les plaisirs asymétriques de la séduction, le respect absolu du consentement et la surprise délicieuse des baisers volés ». C’est raviver l’argument ébauché en 1989 par Philippe Raynaud: il célébrait le rôle civilisateur des Françaises, legs de la civilité d’Ancien Régime, par contraste avec les Etats-Unis où « le féminisme est la pointe avancée, et quelque peu acariâtre, de la revendication démocratique ». Mona Ozouf devait développer l’idée en 1995, dans un « essai sur la singularité française » opposant à la « modération du féminisme français » le radicalisme « bruyant » de l’Amérique.

Ne s’agirait-il point d’identité nationale? Joan Scott a souligné l’ironie des choses: c’est aussi au nom de la séduction qu’on juge l’islam étranger à la culture française; or la victime présumée est ici musulmane. « Ignominie », s’emporte Irène Théry, oubliant la modération nationale. Pourtant, dans l’essai sur la « galanterie française » qu’elle dédiait en 2006 à Mona Ozouf, Claude Habib écrivait: « Le port du voile est un affichage de la chasteté qui signifie l’interruption du jeu galant, et même son impossibilité définitive. Il n’y a pas de conciliation possible. » Et aujourd’hui, c’est ce quarteron de féministes improbables qui persiste et signe ensemble, contre Joan Scott, une défense et illustration de notre « héritage culturel » (Libération du 17 juin).

Pourquoi exalter la séduction française à l’heure d’un procès pour viol? De fait, l’actualité jette une lumière crue sur l’apologie de la France – « pays tolérant, et même indulgent pour les frasques de ses hommes politiques », selon Mona Ozouf. Est-il si opportun de relire ses assertions pour le moins hasardeuses sur le viol? « On lui donne aux Etats-Unis une définition assez élastique pour ne plus comporter l’usage de la force ou de la menace et pour englober toute tentative de séduction, fût-elle réduite à l’insistance verbale. » Bref, les féministes américaines crieraient au viol, tandis que les Françaises goûteraient le jeu de séduction.

L’affaire DSK vient gâter cette image d’Epinal. Comment un « dragueur lourd » pourrait-il encore évoquer la légèreté galante? La séduction d’antan paraît décidément moins séduisante… Les thuriféraires de la singularité nationale invoquent encore Madame de Merteuil; mais c’est oublier qu’elle-même rappelait à Valmontla violente injustice de la séduction: « Pour vous autres, hommes, les défaites ne sont que des succès de moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas gagner. »

L’épouvantail américain se défait en même temps sous nos yeux: les féministes françaises (et non « à la française ») ont réussi à se faire entendre, à la faveur de l’affaire, sans complaisance aucune pour le viol, le harcèlement, ou les propos sexistes dont le charme leur échappe. Il ne s’agit donc pas tant de culture nationale que de démocratie. Reste alors la question qu’agite l’antiféminisme depuis deux siècles: la séduction serait-elle incompatible avec la démocratie? Que devient-elle après l’Ancien Régime de la domination masculine? Ne nous appartient-il pas de penser une érotique féministe – non moins désirable, mais plus démocratique?

Sans doute faut-il renoncer au fantasme d’affranchir le sexe du pouvoir: la séduction vise une emprise sur l’objet désiré, à condition toutefois qu’il existe aussi en tant que sujet de désir. Pour être féministe, il n’est donc pas nécessaire de renoncer aux « plaisirs asymétriques de la séduction ». En revanche, pourquoi l’asymétrie serait-elle définie a priori, la pudeur féminine répondant aux avances masculines, comme si les rôles sociaux ne faisaient que traduire une différence des sexes supposée naturelle? Autant dire que les relations de même sexe seraient dépourvues de séduction!

Au contraire, l’incertitude fait le charme d’un jeu qui consiste à improviser sans savoir d’avance qui joue quel rôle. « La surprise délicieuse des baisers volés » n’est délicieuse que si l’on n’est pas condamné à rejouer sans surprise les rôles assignés à chaque sexe par une convention figée. Autrement dit, dans l’érotique féministe, le trouble dans le genre s’avère… troublant. Quant au « respect absolu du consentement », plus qu’une conversation préalable, il requiert une incessante négociation amoureuse. Le contrat sexuel n’est plus la règle définie d’avance, mais l’enjeu d’une partie sans fin. Au lieu d’être nié, ou sublimé, le rapport de pouvoir devient ainsi la matière même de la séduction démocratique.