Femmes-Coimbra

Sur un mur à Coimbra, Portugal. Photo Mnémosyne

 

Le Nouvel Observateur

Marketing de genre, « Lego » roses et dentifrice pour hommes

Andréa, Mia, Olivia, Stéphanie, Emma, et leurs animaux « trop mignons » n’en finissent pas de défrayer la chronique. A priori, rien de sulfureux chez ces mini-poupées spécialement conçues pour évoluer dans le monde merveilleux des briquettes en plastique de la marque Lego. Le hic, c’est que cette nouvelle gamme baptisée « Friends », lancée en janvier 2012, vise délibérément un public féminin et ne lésine pas sur les codes du genre pour toucher sa cible. Les boîtes de jeu déclinent à l’envi toutes les nuances du rose, les figurines sont plus réalistes et moins cubiques qu’à l’ordinaire, taille fine, poitrine légèrement marquée, cheveux onduleux. Et les thèmes choisis – club d’équitation, clinique vétérinaire, salon de beauté…- surfent à loisir sur les tendances du moment en matière de goût pour filles.

Charlotte veut « partir à l’aventure »

En France, tant que le débat sur le « genre » n’était pas venu semer la pagaille dans les écoles françaises, d’innocents parents se sont précipités sur cette nouvelle gamme aux couleurs acidulées (globalement un des thèmes les plus populaires de la marque tout pays confondu). Et ont rangé les toutes nouvelles constructions Lego aux côtés des cuisines équipées et autres poupées Barbie de leur progéniture féminine, ravie. Malheureux ! Aux Etats-Unis, les féministes n’ont pas tardé à accuser le groupe danois de contribuer à l’apartheid des sexes. Le pic de l’indignation semblant atteint en début d’année lorsqu’une petite Charlotte envoya à Lego –avec cette touchante écriture mal assurée propre aux enfants de 7 ans- une missive l’implorant de faire plus de « Lego » filles qui pourraient « partir à l’aventure » et non pas « rester assise à la maison, aller à la plage ou faire les boutiques ».

Des études sur 3000 filles dans le monde entier

Chez Lego, on avoue être tombé de l’armoire en découvrant l’ampleur de la polémique : « Avant de nous lancer, nous avions fait des études auprès de 3000 filles dans le monde entier pendant des années pour comprendre comment développer au mieux les produits Lego en leur direction, explique le directeur du service Design produit de Lego Friends. Et d’insister sur le fait que les briquettes roses ne sont pas moins créatives que les autres productions de la marque !

Plus tard le bleu deviendra le gris!

Certes ! Mais à y regarder de plus près, tout ce rose qui dégouline des rayons fillettes des magasins de jouet n’est-il pas stigmatisant ? « Depuis les années 50 et l’invention du rose et du bleu, on sait que les codes couleur sont essentiels en marketing », décrypte Babette Leforestier, auteur d’un Blog hilarant sur le marketing après avoir créé et dirigé pendant plus de 16 ans le Marketing Book de TNS Sofres. « Plus tard, continue-t-elle, le bleu deviendra pour les hommes le gris, le chromé, le noir… ». Rien de dérangeant a priori. Sauf que derrière ces codes visuels rabâchés jusqu’à la caricature se cachent aussi des stéréotypes moins innocents : « C’est flagrant dans les pubs pour les parfums où les femmes ont toujours des gestes doux, sensuels, caressants… tandis que les hommes sont ‘bruts’ ou associés à des étalons », relève l’ancienne directrice marketing en s’agaçant de voir que des ficelles aussi grosses sont toujours aussi efficaces.

Aux femmes les petites bagnoles

Dans la plupart des publicités automobiles, aussi, le marketing de genre fait rarement dans la dentelle. Les constructeurs ont évidemment intégré que les femmes conduisaient tout autant que les hommes et que la moitié d’entre elles achetaient même seule leur future voiture. Mieux, ils savent parfaitement qu’elles sont largement décisionnaires au moment de l’acte d’achat. Et pourtant, les stéréotypes sexuels continuent d’avoir la vie dure dans cet ancien bastion de la virilité. Aux femmes donc les petites bagnoles qu’elles conduisent cheveux au vent, aux hommes les grosses berlines bien carrossées, les 4X4 vrombissant ou même les voitures familiales pour balader fièrement sa joyeuse progéniture.

Le marketing est tour à tour macho ou féministe

Doit –on pour autant considérer le marketing de genre comme l’expression du sexisme le plus honteux ? « Evidemment pas ! » répond Elisabeth Tissier-Desbordes, professeur au département marketing d’ESCP Europe. « Par contre, nuance t-elle, le marketing, en se focalisant sur un phénomène et en le grossissant, a tendance à renforcer les stéréotypes sociaux. Et être tour à tour macho ou féministe. C’est un vrai cercle vicieux ! » En gros, il ne faut pas demander à la publicité de changer le regard que les individus portent sur eux mêmes ou d’offrir une vision philosophique du monde. Ce n’est pas son rôle. « Par contre, précise la spécialiste, s’il ne veut pas rater sa cible, le marketeur a tout intérêt à définir avec finesse ce qui relève de la féminité ou de la masculinité dans un produit ».

Il y a peu de produits limités par la biologie

Dans cet optique, le marketing de genre présente un double intérêt : il permet de toucher au mieux sa cible, en surfant avec subtilité (ou pas) sur les stéréotypes liés au sexe mais aussi d’explorer de nouveaux marchés, de les segmenter. Car hormis les soutien-gorge ou les serviettes hygiénique, il y a finalement assez peu de produits limités par la biologie. Séduire les femmes avec des produits réputés masculins est relativement facile. On admet qu’une femme puisse se saisir d’une perceuse ou pose seule un parquet (comme dans une pub récente pour les magasins Leroy Merlin). Et personne ne pousse des cris d’orfraie lorsqu’une petite fille joue avec les figurines Star Wars de la marque danoise. A l’inverse, séduire des hommes avec des produits considérés comme féminins est une autre paire de manche.

Le succès du Coca Zéro

Deux exemples font école en la matière et viennent facilement aux lèvres des professionnels du marketing : le boom des cosmétiques pour hommes dans les années 90 et l’invention du Coca zéro (début 2007). « On avait un marché de la beauté essentiellement féminin mais un marché saturé », raconte Elisabeth Tissier-Desbordes. « Pour attirer les hommes, il a fallu jouer non pas sur le ‘désir de plaire’, de ‘prendre soin de soi’, mais sur la valorisation, l’expertise. » Un pari réussi par Nivea for men ou Men Expert mais impossible à réaliser pour une marque comme Lancôme, perçue comme très féminine. Même problème avec le Coca Cola light, essentiellement prisée par la gente féminine. D’où l’idée de cibler essentiellement les hommes et de créer un nouveau packaging qui valoriserait leur virilité: le Coca Zéro. Et là, bingo ! « Ils ont vraiment fait du marketing de genre », décode, admiratif, Michel Reynard, directeur marketing du Département Quali-stratégique de TNS Sofres. « Il y a évidemment la couleur noire, mais aussi la disparition du mot ‘light’ ou ‘sans sucre’, trop connoté féminin. » Pourtant, ce professionnel goûte peu le marketing du genre et trouve la formule un peu confuse et trop polémique, sans rapport avec la réalité du marché. « Il y a évidemment un marketing sexué, reconnaît il, le marché de la beauté, ou, hélas, celui de la lessive. Mais l’on sait aussi que les hommes et les femmes ne raisonnent pas de la même manière en terme d’achat. C’est une évidence et la démarche Lego ne me choque pas une seconde ! ». Et demain ? Le marketing pourra-t-il casser les stéréotypes du genre et s’adresser de la même manière aux hommes et aux femmes, sans a priori ?

Des produits sans genre

En 2011, la papesse américaine du marketing, Faith Popcorn, prédisait la disparition du « gender marketing » à la faveur de produits « sans genre » combinant les valeurs masculines et féminines, tel l’iPhone d’Apple, un bijou de technologie au design ultra léché ! Cette tendance à l’homogénéisation de certains marchés, comme celui de l’ iPhone, ou même des monospaces, n’a pas échappé à Michel Reynard. Mais à ses yeux, celle-ci n’est qu’une tendance parmi d’autres : « Ce que j’observe personnellement, c’est plutôt le désir d’être distingué, individualisé comme sujet unique parmi la foule. Et marquer fortement son identité sexuelle va plutôt dans ce sens. »

Redonner le sourire aux hommes

Un discours qui devrait séduire Unilever. En janvier de cette année, le groupe néerlandais d’agro-alimentaire et de cosmétiques a lancé sur le marché un dentifrice spécialement conçu pour les hommes sous la marque Signal : White now men. Une première mondiale ! Tube habillé de noir, goût puissant, ce nouveau dentifrice promet la blancheur éclatante et instantanée grâce à une technologie brevetée : le blue light. « On est parti du constat que les hommes avaient les dents plus jaunes que les femmes pour des raisons comportementales (alcool, tabac…) » explique avec enthousiasme Delphine Leroyer, chef de produit Signal, pour justifier l’intérêt d’un dentifrice dont l’utilité aurait pu nous échapper. Une fois ce constat scientifiquement établi, ne restait plus qu’à établir la réalité d’un marché. Et bien oui, ces messieurs ont non seulement manifesté le désir de plus de blancheur mais ont aussi revendiqué des goûts différents de leur compagne ! A la fin du mois de mars, les publicité (http://tempsreel.nouvelobs.com/tag/publicite)s pour le « White now men » devraient débarquer sur nos écrans. « En gros, on veut montrer qu’avec un beau sourire et des dents bien blanches l’homme séduit sur son passage un peu malgré lui », dévoile la chef de produit. Sans préjuger du résultat final, il est probable que la campagne du « White now men » fasse à nouveau grincer les dents des féministes.

Corinne Bouchouchi

 

Le Point

Journée de la femme : un Tumblr dénonce le sexisme en politique

Des élues écologistes posent pour des photos sur lesquelles elles affichent la phrase la « plus sexiste » qu’elles aient entendue en tant que militantes.

À l’occasion de la Journée mondiale des droits des femmes, des élues écologistes ont posé sur des photos diffusées sur Twitter où elles affichent la phrase la « plus sexiste » qu’elles aient entendue en tant que militantes. L’opération « Et sinon… je fais de la politique » (#SinonJeFaisDeLaPolitique) est menée sur Twitter par Karima Delli, eurodéputée Europe Écologie-Les Verts (EELV) pour qui « combattre les inégalités entre les hommes et les femmes est une tâche ardue, qui nous préoccupe tout au long de l’année, et pas seulement le 8 mars ». « Messieurs, plutôt que de vous sermonner, j’ai décidé de vous faire ce cadeau, un Tumblr en hommage à votre sexisme ordinaire », écrit-elle.

Elle-même pose avec la phrase « Votre discours était très technique pour une femme », alors que Marie- Christine Blandin, sénatrice EELV du Nord, affiche : « Si elle n’est pas capable de mener deux mandats à la fois, elle n’a qu’à retourner au repassage. » « Eh, dis donc, cocotte, t’es pas très photogénique », a entendu Marion Lepresle, adjointe au maire à Amiens, ou encore « Qu’est-ce qu’elle veut, la bonne femme… », pour Michèle Cahu, conseillère régionale en Picardie.

« Le sexisme ne s’arrête pas aux frontières du monde politique, bien au contraire, mais ces anecdotes nous démontrent à quel point le chemin est long », estime Karima Delli.

Rappel à l’ordre

Un député apparenté UMP, Phlippe Le Ray, avait reçu en octobre « un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal » du président de l’Assemblée pour sexisme après avoir imité le caquetage d’une poule pendant le discours d’une collègue dans l’hémicycle. En juillet 2012, la ministre du Logement, l’écologiste Cécile Duflot y avait été accueillie par des sifflets parce qu’elle portait une robe.

source AFP

 

Le Figaro

Pour la première fois, un rapport publié ce mercredi par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) présente l’ampleur des violences à l’encontre des femmes dans les 28 pays de l’UE.

Et les résultats de cette enquête, demandée par le Parlement européen et basée sur des entretiens avec 42 000 femmes, sont alarmants. Cinq enseignements à retenir.

La violence est partout, et elle est sous-évaluée

Agressions sexuelles, viols, harcèlement… Dans l’Union européenne, la violence est partout. 33 % des femmes interrogées ont été victimes de violence physique et/ou sexuelle depuis l’âge de 15 ans. « Une personne sur trois, c’est absolument choquant », reconnaît le chef de la communication de l’agence, Friso Roscam Abbing. Pour lui, « aucun des 28 pays membres » ne fait office de bon élève, et il craint que ces chiffres ne soient que « la partie émergée de l’iceberg », beaucoup de femmes n’ayant sans doute pas voulu tout dire aux enquêteurs de la FRA. L’étude indique notamment que 5 % des Européennes ont subi un viol et que 55 % ont déjà été victimes d’une forme de harcèlement. Et cette violence reste trop souvent passée sous silence, puisque 67 % des femmes qui en ont été victimes n’ont pas signalé à la police ou à une organisation d’aide l’acte de violence le plus grave qu’elles ont subi.

Les pays nordiques pointés du doigt, mais…

Si la violence est partout, elle n’est pas répartie de la même manière. Dans le rapport, les chiffres pointent du doigt les pays du Nord, comme la Finlande, la Suède, le Danemark… Un constat qui s’explique de plusieurs manières, comme la criminalité globale du pays, la consommation d’alcool, le pourcentage des femmes qui travaillent et qui sont donc, explique Friso Roscam Abbing, davantage exposées à des violences extérieurs potentielles, comme le harcèlement au travail. Le directeur de la communication de la FRA met toutefois en avant un facteur important : « celui, culturel, de la capacité des femmes à parler ouvertement des violences qu’elles ont subies ». On peut ainsi supposer que les Suédoises ou les Finlandaises ont accepté de parler plus librement que d’autres, comme les Polonaises par exemple, dans un pays où la religion a un poids très important et où « certaines familles n’acceptaient pas que les femmes se confient à nos enquêteurs », indique Friso Roscam Abbing. Selon lui donc, « il ne faut pas nier l’importance des chiffres concernant les pays scandinaves, mais il faut craindre qu’ils soient en réalité beaucoup plus importants dans les pays qui se trouvent en bas du tableau ».

La France doit faire beaucoup mieux

Les résultats de l’enquête concernant la France sont inquiétants. 44 % des femmes interrogées affirment avoir subi des violences depuis l’âge de 15 ans et 47 % disent en avoir subi avant cet âge-là. 29 % des Françaises ont notamment connu une forme de « traque furtive ». « Il existe certaines bonnes pratiques en France, notamment concernant l’assistance aux victimes. Mais le besoin de prévention reste crucial, et ce dès le plus jeune âge », explique Friso Roscam Abbing, qui recommande des campagnes de sensibilisation ciblant également les hommes.

La traque furtive, un phénomène qui prend de l’ampleur

La FRA ne s’attendait pas à de tels chiffres : 18 % des Européennes ont été victimes de « stalking » (traque furtive). Réception à répétition de messages insultants par téléphone, courrier ou internet, appels menaçants, femmes suivies dans la rue… Parmi ces personnes traquées, 1 sur 5 l’ont même été pendant plus de de deux ans, si bien que 23 % ont été obligées de changer d’adresse de messagerie ou de numéro de téléphone. Pour Friso Roscam Abbing, « ce phénomène a tendance à prendre de l’ampleur, notamment le « cyberstalking », facilité les outils comme les SMS ou internet ».

Des conséquences parfois dévastatrices

L’enquête ne s’intéresse pas seulement aux violences mais aussi aux conséquences émotionnelles et psychologiques qui « peuvent être durables et profondément enracinées », selon l’étude. Celle-ci révèle notamment que 21 % des victimes ont été en proie à des crises de panique après un incident et que 35 % sont devenues dépressives. 43 % d’entre elles ont également éprouvé des difficultés dans une nouvelle relation.

Anne-Laure Frémont

 

La Dépêche

Journée de la femme : des acquis à défendre

C’est aujourd’hui la journée internationale de la femme. Si globalement, la condition féminine tend à s’améliorer, notamment en France, ce combat n’est jamais acquis, et certains veulent un retour en arrière. L’Espagne restreint l’avortement, et en France, certains approuvent…

Le combat pour les droits des femmes ressemble parfois à ce rocher de Sisyphe, qu’il faut sans cesse pousser parce qu’il menace sans cesse de retomber. Dans la longue histoire de l’émancipation féminine, rien n’est vraiment acquis.

Pour l’instant, l’Hexagone semble ne pas souhaiter de retour en arrière. Mais sous la pression des catholiques purs et durs, l’Espagne, qui bénéficiait d’une législation sur l’avortement les plus souples d’Europe, s’apprête à faire machine arrière. Et veut imposer un texte extrêmement restrictif. Une décision d’autant plus incompréhensible que trois Espagnols sur quatre considèrent qu’il s’agissait d’une bonne loi, et que ces dernières années, le nombre des IVG était en baisse de 5 %. Aujourd’hui, à travers tout le pays, les Espagnol(e) s défileront contre la loi de Mariano Rajoy.

Ce mouvement anti-avortement n’est pas isolé. Aux États-Unis, depuis longtemps, les «pro-life», extrémistes chrétiens et autres «tea party» vont parfois jusqu’à tuer des médecins qui pratiquent l’IVG. En Angleterre, des cliniques «militantes» tentent de dissuader les candidates à l’avortement. Tout comme en France, il a fallu à la ministre des Droits de la Femme batailler sur internet : des sites anti-IVG se glissaient en haut des pages de recherche sur Google…

En France, la militante du Printemps français Béatrice Bourge a déclaré vouloir s’imposer «8 millions de minutes de silence : depuis 1975, 8 millions d’enfants, ont été génocidés (sic) dans des IVG». En janvier, l’Assemblée nationale a supprimé la notion de «détresse» pour l’IVG : «Une provocation» pour la très droitière députée Christine Boutin. «Il faut affirmer, au niveau européen, que le droit d’une femme à disposer de son corps ne peut être remis en cause», indique à l’inverse Virginie Rozière, tête de liste aux élection européennes dans la région du Grand Sud-ouest.

Et les droits des femmes à travers le monde ? On ne peut que se réjouir pour les femmes de Tombouctou, qui ont été libérées l’an passé par les soldats français, du joug des obscurantistes islamiques au nord du Mali. Au Pakistan, la petite Malala Yousafzi, grièvement blessée par des fanatiques pour son combat, n’a pas eu le Prix Nobel de la paix, mais sa nomination pour cette distinction est en soi une victoire.

Enfin, en Tunisie aussi les droits des femmes étaient menacés par le parti islamiste Ennahda. Ils ont été préservés dans une nouvelle constitution qui garantit l’égalité et la parité. Des raisons de rester optimiste, mais surtout vigilant.

Dominique Delpiroux

 

 Le Parisien

Hollande : le combat pour les droits des femmes est «permanent»

Peut mieux faire. C’est l’appréciation donnée ce samedi par François Hollande à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. «Chaque génération a son combat, mais il y a des combats permanents pour les femmes, il y a des lignes qui n’ont pas encore été franchies», a déclaré le chef de l’État lors d’une longue rencontre avec les femmes de quatre familles représentant trois générations, organisée au ministère des Droits des femmes

Notant une amélioration de la place des femmes dans l’exécutif, il a toutefois jugé que des progrès restaient à faire pour promouvoir leur place dans les ministères régaliens. «Il faut qu’aucun des ministères n’échappe à cet objectif de parité», a-t-il dit, au côté de la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem.

Il s’est également préoccupé de l’orientation des jeunes filles dans le système éducatif. «Maintenir des systèmes d’orientation qui ne mettent pas les filles dans les filières d’avenir, c’est non seulement un coût à la personne», mais «un handicap de plus pour la France», «un gâchis considérable sur le plan économique», a jugé François Hollande.

Rappelant que le chômage touchait davantage les femmes que les hommes, il a également souligné que «les petites retraites sont souvent le lot des femmes», notamment les agricultrices qui ont souvent «beaucoup travaillé sans être toujours déclarées». Des systèmes de «rattrapage» doivent être mis en place, «nous aurons des résultats, même si c’est long», a-t-il ajouté. Il a également réaffirmé que la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale était «un enjeu de société».

Dans les progrès pour les droits des femmes, «rien n’est acquis, la lutte de plusieurs générations peut être à un moment mise en cause. Tout est fragile, vulnérable», a mis en garde le président de la République. Quant aux stéréotypes sexistes, ce sont «les plus difficiles à chasser», a-t-il noté, soulignant que, malheureusement, «la loi ne peut pas interdire la bêtise».

Le chef de l’Etat devait, après cette rencontre, déjeuner avec des femmes dirigeantes d’entreprises et assister en fin de journée à l’Élysée à la projection d’un film sur le rôle des femmes durant la Première Guerre mondiale intitulé : «Elles étaient en guerre».

 

Le Parisien

Journée de la Femme : les musées célèbrent la femme

A l’occasion de la journée de la femme, samedi 8 mars, plusieurs musées à Paris et en province organisent des journées spéciales.
Au musée du Quai Branly
, c’est l’artiste anglaise Nancy Cunard (1896-1965) qui est à l’honneur. Cette journaliste et poétesse a été très impliquée dans la cause féministe, dans la lutte contre la ségrégation raciale. D’autres grandes figures féminines des années 1930 seront aussi évoquées.

De tout temps, la femme a souvent été un objet d’inspiration. Venus de Milo ou Mona Lisa : le Louvre propose une visite sur la représentation de la femme dans les chefs-d’oeuvre.

Le Petit Palais met à l’honneur les plus grandes figures féminines à travers des ateliers et des visites guidées des collections permanentes : lors des ateliers, les participants sont invités à prendre une œuvre en modèle et de réaliser un portrait féminin au trois crayon (sanguine, pierre noire et craie blanche) alors que les visites permettent de découvrir un panorama de la représentation des femmes dans l’art.
La Maison de l’UNESCO : propose une expo en invitant 7 artistes à présenter leurs travaux en rapport avec l’égalité hommes/femmes ; sept femmes artistes, habitant l’Azerbaïdjan, le Bangladesh, le Bénin, la Bolivie, la Bulgarie, le Canada (Québec), la Russie et le Pérou.
Enfin à Paris, si la vie de Marie-Antoinette a encore des secrets pour vous ou que vous vous intéressez aux femmes au XVIII e siècle, le musée Carnavalet propose des visites autour de ces deux thèmes.
A Lyon : le Musée des Beaux Arts de Lyon propose des parcours thématique Femmes et visites commentées « Évocation de femmes »
Tour à tour modèle, muse, mécène, femme de pouvoir, artiste ou anonyme, découvrez treize figures de femmes emblématiques, de l’Antiquité à nos jours. Le Parcours femmes est gratuit et disponible à l’accueil du musée.
A Toulouse, le Musée des Augustins accueillera un spectacle de danse, décliné en trois temps directement inspirés du travail de la chorégraphe Nathalie Desmarest.

 

Huffingtonpost.fr

Les femmes et les « métiers d’hommes »: retour sur un siècle de « work in progress »

JOURNEE DE LA FEMME – Puisqu’il est question d’un centenaire, revenons cent ans en arrière. Le 8 mars 1914, l’archiduc François Ferdinand était encore en vie, l’Allemagne n’avait pas déclaré la guerre à la France et Verdun n’était qu’une ville parmi d’autres sur la carte. Le même jour néanmoins, des femmes manifestaient en Russie tandis que, de l’autre côté du Rhin, les suffragettes réclamaient le droit de vote qu’elles obtiendraient quatre ans plus tard à l’issue du premier conflit mondial.

Cette effervescence européenne un 8 mars 1914 pourrait étonner… À tort. car depuis qu’elle a vu le jour lors de la 2e conférence internationale des femmes socialistes, à Copenhague en août 1910, l’idée d’une journée internationale des femmes agite les milieux féministes ancrés à gauche. Avant-gardiste cette journée? Plutôt en accord avec cette époque, que l’on dira rétrospectivement belle. Car si dans l’imaginaire collectif, la Grande Guerre propulsa les femmes, obligées de remplacer les hommes partis au front, à l’usine, bref dans ces métiers d’hommes où les hommes n’étaient plus, l’idée relève davantage de l’image d’Épinal que de la réalité.

À cette image justement, s’en substituent d’autres. Ce sont des centaines de cartes postales datant du début du siècle exhumées par la chercheuse Juliette Rennes(EHESS). Avocates, cochères, doctoresse, factrice, gendarme et même… militaire, elles représentent des femmes exerçant ces métiers d’hommes dont elles avaient été jusque là tenues à l’écart. Une révolution (voir notre diaporama en fin d’article).

Mauvais genre

Comme la journée de la femme, « de nombreuses conquêtes féministes datent d’avant la guerre de 14 », rappelle la chercheuse, auteure de Femmes en métiers d’hommes : cartes postales : 1890-1920″ de Juliette Rennes (Bleu autour, éd.). La mise en scène des photographies, les légendes qui les accompagnent et les mots rédigés par les contemporains à leur dos en témoignent: à la Belle époque, la société porte un regard curieux, amusé, mais aussi mâtiné de peur sur ces nouvelles femmes.

Car travailler dans un métier d’homme c’est s’approprier, les caractéristiques de l’autre genre, mais aussi ses comportements, au moins dans la caricature. La femme qui exerce un métier d’homme fume, porte des pantalons ou encore boit un coup au bistrot lorsqu’elle est cochère. Lorsqu’elle est avocate, elle plaide, ce qui suscite la peur que les jugements soit faussés par ses atours tandis que pour les hommes qui exercent une profession libérale, ces nouvelles arrivantes sont autant de concurrentes dont ils se passeraient bien.

Des femmes dans des métiers d’hommes? À l’image du mariage pour tous ou des fantasmes sur la théorie du genre aujourd’hui, le débat fait alors rage, partout, tout le temps, à commencer par la Chambre des députés, l’équivalent de notre Assemblée nationale.

Exemple avec les avocates et celle qui pourraient être leur marraine, Jeanne Chauvin. En 1892, elle obtient son doctorat de droit et demande à prêter serment devant le Barreau de Paris en 1897. L’ordre des avocats refuse, les féministes se mobilisent, une partie du barreau se contre-mobilise jusqu’à ce qu’une proposition de loi autorisant les femmes à plaider soit finalement votée, ce sera la loi du 1er décembre 1900.

« À la Belle époque, l’inquiétude devant ces femmes qui exercent des métiers d’hommes est comparable aux craintes suscitées aujourd’hui par le mariage pour tous parce qu’ils remettent en cause une hiérarchie des genres et révèlent le caractère fragile de l’identité des sexes », résume Juliette Rennes. Des certitudes vacillent, des croyances fondamentales sont profondément remises en cause: plus de cent ans avant le mariage gay ou encore le bouillonnement provoqué par les rumeurs d’enseignement d’une hypothétique théorie du genre à l’école, en ce début du XXe, les situations se ressemblent, preuve que la question du genre et de l’emploi est toujours devant nous.

Y’a-t-il une pilote dans l’avion ?

« Le cockpit d’un avion n’est pas un endroit adapté pour une femme. Le fait d’être mère est le plus grand des honneurs pour une femme, pas d’être capitaine ». Griffonnés à la hâte sur une serviette de papier, ces quelques mots ne datent pas de 1914, ni même de 1974, mais bien de 2014. Leur auteur? Un client de la compagnie aérienne canadienne WestJet manifestement peu enthousiaste à l’idée que la cabine de pilotage soit occupée par une femme. Réponse de l’intéressée, sur sa page Facebook: « Cher David, merci pour la note que vous avez laissée discrètement sur votre siège. Je ne partage pas votre opinion selon laquelle le cockpit (que nous appelons maintenant cabine de pilotage puisqu’un pénis n’est plus nécessaire [jeu de mot avec « cock », NDLR]) n’est pas un endroit pour une femme. En fait, il n’existe plus d’endroits qui ne soient pas pour les femmes. »

La compagnie aérienne précisa quant à elle que le poste de commandant de bord est ouvert aux femmes depuis 1996. Au-delà du fait qu’il existe encore des personnes capables de ce type de préjugés quant aux capacités réelles ou supposées des femmes, cette anecdote raconte autre chose. Dans les avions, il y a des hôtesses, des stewards, mais une femme dans la cabine de pilotage relève davantage de l’exception que de la règle. Si, en France, seuls quelques rares métiers demeurent interdits aux femmes, comme sous-marinier ou encore certains métiers du bâtiments, la ségrégation professionnelle entre hommes et femmes demeure très forte.

Un chiffre en témoigne. Selon une étude de la Dares publiée fin 2013, pour aboutir à une répartition égalitaire des femmes et des hommes dans les différents métiers, il faudrait que la moitié des femmes (ou des hommes) changent de profession. La bonne nouvelle? Cet indice de ségrégation a diminué de 4 points entre 1983 et 2011.

Mais derrière cet indéniable surcroît d’égalité, une autre réalité se dessine. C’est celle d’une majorité de métiers à dominance masculine plutôt, c’est aussi celle de professions très fortement assignés à des genres. S’il y a moins de métiers d’hommes qu’avant, à l’inverse la féminisation de certains métiers demeure puissante. Parmi les 10 professions où les femmes sont les plus nombreuses (aides à domicile et ménagères, agents d’entretien, aides-soignant, infirmiers, sage-femmes…), il y a proportionnellement plus de femmes que d’hommes parmi les 10 métiers qui comptent le plus d’hommes (conducteurs, ouvriers qualifiés du bâtiment, techniciens, armée, police, pompiers…).

En trente ans, des métiers qui étaient mixtes se sont « masculinisés », notamment parmi les ouvriers non qualifiés de la manutention ou les agriculteurs. La raison, les conjointes des agriculteurs ne travaillent plus dans leur exploitation. Dans le même temps, d’autres métiers mixtes au cours des années 1980 se sont quant à eux féminisés. C’est le cas des professions de techniciens des services administratifs, comptables et financiers, mais aussi de la banque et des assurances. La seule profession féminine qui est devenue mixte va quant à elle vous étonner: il s’agit des employés ou des opérateurs… de l’informatique.

La répartition par genre demeure donc puissante, elle est aussi inégalitaire. La ségrégation est plus importante pour les jeunes, les parents de trois enfants ou plus, les personnes de nationalité étrangères, ou celles qui vivent en province par rapport à Paris et dépend aussi du diplôme.

C’est une constante depuis les années 1980, les hommes et les femmes les plus diplômés occupent de plus en plus les mêmes emplois. « La réussite scolaire des filles a permis une montée des qualifications et leur accès à des métiers autrement occupés essentiellement par des hommes », précise la Dares. Parmi les 5 métiers majoritairement « masculins » qui sont devenus mixtes au cours des trente dernières années, tous sont des emplois qualifiés: cadres administratifs comptables et financiers, cadres de la fonction publique, cadres des banques et des assurances, attachés commerciaux et représentants.

La science fait de la résistance

Ce qui ne veut pas dire qu’un diplôme garantie l’accès un métier moins ségrégé. La preuve par la science, où les femmes font encore cruellement défaut.

Au collège comme au lycée, les filles ont pourtant de meilleurs résultats que les garçons. Plus nombreuses à obtenir le brevet ou le bac général, elles sont en revanche moins nombreuses que les garçons à intégrer une 1re scientifique, alors qu’arrivées en classes préparatoires, ça se dégrade à nouveau. En termes de publications scientifiques signées par des femmes, la France fait tout de même mieux que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine ou encore l’Allemagne, mais moins bien que les pays d’Amérique du Sud ou de l’ex-bloc de l’Est où la règle est à la parité remarquait récemment la prestigieuse revue Nature.

Les raisons? Elles sont multiples. « C’est avant tout une question d’éducation même si, de manière générale, l’abstraction n’attire pas tellement les femmes », remarquePascale Vicat-Blanc, chercheuse, dirigeante d’une entreprise de recherche en informatique et lauréate 2013 du prix de l’innovation lnria – Académie des sciences – Dassault Systèmes.

« Beaucoup de jeunes femmes très fortes en sciences vont se diriger vers la médecine », continue-t-elle. Un comble selon la chercheuse, d’autant plus que « les femmes ont ce goût de la perfection et de l’efficacité qui fait parfois défaut aux hommes ». Problème, lorsqu’elles arrivent aux portes du monde de la recherche, les femmes s’interdiraient de franchir le pas. « En matière d’avancement et de recrutement, il y a quelque chose qui relève typiquement des femmes en termes de manque de confiance », a-t-elle remarqué.

Retour au genre donc. « Entre le début du XXè siècle et aujourd’hui, l’évolution est phénoménale d’un côté, tandis que d’un autre, les situations se ressemblent », résume Juliette Rennes.

« Aujourd’hui, les frontières entre métiers d’hommes et de femmes se sont recomposées et la vraie question est celle de l’ouverture des possibles ». C’est aussi celle des représentations sociales, « ceux qui dénonçaient récemment un prétendu enseignement de la théorie du genre l’ont bien senti, » remarque-t-elle.

« Les parcours sociaux, familiaux et professionnels des hommes et des femmes ne peuvent être la simple résultante de préférences individuelles, ils résultent aussi des systèmes de représentations figés, de clichés de ce qui fait traditionnellement le masculin et le féminin », affirmait opportunément un rapport récent du Commissariat général à la stratégie sur la lutte contre les stéréotypes filles-garçons remis à la ministre du Droit des femmes Najat Vallaud-Belkacem.

Cette donnée, certains acteurs inattendus mais non moins importants, en sont particulièrement conscients. C’est par exemple le cas de la banque d’image Getty qui s’est récemment associée à la fondation Lean In, créée par la dirigeante de Facebook Sheryl Sandberg pour renouveler son stock d’images représentant des femmes.

Au travail, en famille, dans la vie de tous les jours, l’objectif de ces quelques 2.500 visuels qui seront utilisés par des journalistes, des publicitaires et des créatifs est clair: actualiser l’image des femmes, pour faire évoluer la mentalités de tous. Plus que jamais, la question des femmes et des « métiers d’hommes » est un work in progress.

Stanislas Kraland

 

lejournal.cnrs.fr

La philosophe Sandra Laugier fait le point sur les travaux scientifiques menés sur le genre au CNRS et sur leurs enjeux.

Oui, le CNRS soutient la recherche sur le genre : depuis longtemps à travers la Mission pour la place des femmes et des programmes dans ses laboratoires, plus récemment avec l’ouverture de postes de chercheur(e)s affichés « genre », avec la création du Groupement d’intérêt scientifique Institut du genre et le lancement par la Mission interdisciplinarité du Défi Genre. Ailleurs, le domaine du genre est affiché dans de nombreux ­programmes de ­recherche internationaux, dans le programme européen Horizon 2020, et dans celui de la National Science Foundation (NSF) aux USA.

Comment est-ce possible ? Le genre serait, à entendre diverses critiques, une « théorie », qui nie la différence des sexes et tente de s’imposer dans les programmes scolaires avec un agenda idéologique sulfureux. Or s’il n’existe pas UNE « théorie du genre », de nombreux travaux scientifiques, en théorisant le genre, s’attachent à montrer le caractère social des représentations du masculin et du féminin et les rapports de pouvoir qui produisent les inégalités entre les sexes.

 

Une mise en cause du savoir

Alors pourquoi cette campagne ­dénonçant la « théorie du genre », qui a même conduit le gouvernement à reculer sur des projets de réforme urgents ? Remarquons que qualifier un savoir de « théorie », avec une tonalité dévalorisante (alors que toute science propose des théories !) est une stratégie éprouvée de l’obscurantisme militant. Les créationnistes aux États-Unis qualifient la science de l’évolution de « théorie » pour tenter d’empêcher ce savoir impie de se répandre dans les écoles. Un épisode souvent cité par les épistémologues est celui du jugement de la Cour fédérale, en 2002, condamnant un lycée d’Atlanta dont la direction avait, sous la pression de certains parents, fait apposer sur les manuels de biologie des élèves un ­sticker : « L’évolution est une théorie, pas une certitude » – « une théorie de l’origine des êtres vivants qui doit être approchée avec prudence et esprit critique. »

 

Les études ont pointé l’erreur à ne pas tenir compte de la ­variable“genre” dans les recherches.

Jeter le doute sur des connaissances ­acquises : c’est la méthode de ceux qui qualifient de pure « théorie » ce qui relève des faits et veulent nier l’évidence. Que nous apprend la science de l’évolution, sinon que l’humain fait partie des animaux et n’a pas de privilège au sein de la nature, sinon la place qu’il s’est faite ? Que nous apprend la science du genre, sinon que la différence des sexes, une différence parmi tant d’autres, ne devrait pas faire de différence dans le destin social des individus, et que pourtant elle entraîne partout des inégalités ?

On voit où se situe l’enjeu, qui est double, des attaques contre les études sur le genre. En premier lieu, il est d’ordre scientifique. L’objectif du réactionnaire antigenre est de faire croire que les études sur le genre ne sont pas de la science mais « une théorie ». Or la prise en compte du genre est avant tout une ­affaire scientifique, articulant « DES théories » et des faits (c’est ainsi que fonctionne la science, par des ensembles explicatifs fondés dans la preuve). D’abord développées par les sciences humaines et socia­les, les études ont pointé l’erreur à ne pas tenir compte de la ­variable « genre » dans les recherches. Elles ont montré, par exemple, que le travail ne se réduit pas à sa dimension profes­sionnelle ou productive, mais inclut le travail domestique, que les « droits de l’homme » n’incluent pas les femmes, etc. La ­méthode vaut pour les autres sciences : sous-­évaluation et traitements inadaptés des maladies cardiaques chez les femmes ou, à l’inverse, de l’ostéoporose chez les hommes. Les études sur le genre ont ainsi mis en évidence la prédominance du point de vue androcentré, qui, en s’ignorant comme tel, généralise à partir du cas particulier masculin.

 

Une question très politique

En second lieu, les recherches sur le genre, d’abord scientifiques, posent des questions politiques : elles font voir une réalité désagréable, celles d’inégalités injustifiables dans un ensemble de ­citoyens en principe égaux. C’est la cause profonde des attaques actuelles contre le genre. Ces recherches, et les faits qu’elles établissent, questionnent l’organisation traditionnelle de la famille, la domination masculine et l’hétéronormativité, les inégalités liées au sexe qui traversent notre société.

Le CNRS est l’acteur de la recherche et de l’enseignement supérieur le plus ­anciennement et fortement engagé en faveur des recherches sur le genre. Il les soutient en prenant en compte les enjeux de la recherche et de l’égalité comme inséparables. Les questions scientifiques sont des questions sociales. Développer la recherche sur le genre, c’est lutter pour la reconnaissance des inégalités et contre leurs causes, et aussi contre des préjugés qui attaquent la science elle-même. C’est l’engagement du CNRS, et le thème de la journée du 10 mars 2014 qui, sous la bannière des Nouvelles sciences du genre, réunira au CNRS des chercheur(e)s de toutes disciplines.

Le 10 octobre 2013, Le ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon a installé à l’Institut de France le Conseil supérieur des programmes. Cette instance créée par la Loi de refondation de l’école du 8 juillet 2013 a pour mission d’émettre « des propositions sur la conception générale et les contenus des enseignements scolaires, pensés à l’échelle des cycles pluriannuels, en fonction du socle commun de connaissances, de compétences et de culture », en bref, de proposer de nouveaux programmes de la classe maternelle au lycée.
Voici le dossier de présentation du CSP, ses membres, ses missions, son calendrier de travail.
Mnémosyne s’est associée à plusieurs autres associations et réseaux pour demander officiellement par une lettre adressée au président et aux membres du CSP à être consultée dans le cadre des groupes de travail mis en place par cette instance, d’autant plus que le ministre a récemment reporté à la rentrée 2015 (pour l’école maternelle) et 2016 (pour les autres cycles) la mise en oeuvre des nouveaux programmes.

Voir le dossier du conseil superieur des programmes

Les religions ont joué et jouent encore un rôle clé dans l’élaboration et la reproduction des normes de genre, à savoir le processus de différenciation et de hiérarchisation des sexes et des sexualités. Comment les univers religieux réagissent-ils alors aux mutations des mondes contemporains, en particulier sur les questions des droits des femmes, de la liberté sexuelle et de l’homosexualité ?
À travers une variété d’études de cas concernant la religion chinoise, le judaïsme, le protestantisme, le catholicisme et l’islam dans des aires géographiques contrastées, de la Chine, d’Israël, de la Tunisie, du Mexique, de la Polynésie à la France et l’Europe, cet ouvrage explore les adaptations, les reconfigurations ou les raidissements des normes religieuses, autant que les résistances notables qui s’expriment pour concilier croyances religieuses, égalité de genre et démocratie sexuelle.

 

rochefort.image_  Florence Rochefort et Maria Eleonora Sanna, Armand Colin, 2013

http://www.armand-colin.com/livre/479575/normes-religieuses-et-genre.php

Prix Mnémosyne 2012, le mémoire de Colette Pipon vient d’être publié aux Presses universitaires de Rennes

Colette Pipon, Et on tuera tous les affreux Le féminisme au risque de la misandrie (1970-1980), Rennes, PUR, février 2014

 

Pipon-Affreux

« Je ne suis pas féministe, parce que je n’en veux pas aux hommes. » Cette réflexion d’une ancienne militante du Planning familial établit un lien évident entre féminisme et haine des hommes. Peut-on faire l’hypothèse d’une misandrie travaillant le Mouvement de libération des femmes en France dans les années 1970 ? À partir de sources variées (presse, tracts, affiches, témoignages écrits et oraux de militantes), cet ouvrage en analyse la présence dans les discours féministes sur l’avortement, le viol, les relations de couple ou encore l’homosexualité.

Préface de Michelle Zancarini-Fournel.

13 février – Télérama.fr

Aux JO, la “théorie” du genre n’atteint pas Candeloro

La « théorie » du genre fait des émules jusqu’au CIO, le Comité international olympique. Que Jean-François Copé n’a-t-il appelé au boycott des Jeux de Sotchi ! « Pour la première fois dans l’Histoire », comme dit Patrick Montel sur France Télévisions, les barbons disciples du baron Pierre de Coubertin ont admis les faibles femmes à concourir dans une épreuve de saut à ski.

A l’unisson de Gérard Holtz, Céline Géraud ou André Garcia, Laurent Luyat célèbre « une grande victoire des femmes » sur le « conservatisme » et le « machisme » des instances sportives. « Laurent, vous devriez venir ici avec nous, l’invite Philippe Candeloro en direct de la patinoire. Parce qu’il y a des jolies filles qui vont patiner, je pense que ça vaut le détour. » Que Jean-François Copé se rassure, si la « théorie » du genre a gangréné les dignitaires du CIO, elle n’a pas contaminé le consultant de la télé publique. Ni son commentateur. « Ekaterina Bobrova, qui est absolument ravissante, annonce Nelson Monfort. Et je laisserai Philippe détailler la plastique d’Ekaterina. »

« Vous avez raison, laissez faire les experts, revendique l’ancien patineur, exerçant son expertise sur la moitié féminine du couple allemand Savchenko-Szolkowy : En 2006 déjà, j’avais fait une allusion à son joli petit postérieur. » « Sa morphologie n’a pas tellement évolué », apprécie Nelson Monfort. « Oui, en huit ans et quatre olympiades, c’est fabuleux d’être toujours à ce niveau-là. » Et à ce niveau de qualité des commentaires techniques : « Ça glisse bien, ça bouge bien, ça sautille bien. » C’est fabuleux.

« Très sexy, Marie-Bérénice, admire Philippe Candeloro lors du passage de la patineuse française. Elle aguiche même les juges, c’est pas mal. » L’autre consultante, la très sérieuse entraîneuse Annick Dumont, perçoit autre chose dans cette silhouette noire sur fond blanc : « Ah, elle est féline, hein ! » « J’adore votre expression, Annick, applaudit Nelson Monfort. C’est exactement cela ! » « Oui, parce que son corps bouge bien, elle a le haut du corps qui bouge bien et elle est féline. » Comme une panthère dans la savane ? L’Afrique aussi a droit à l’or blanc. Elle a déjà sa station de ski, au Lesotho :

Un saisissant tapis blanc posé dans la savane, vu dans L’Argent de la neige, enquête de Laurent Cibien et Pascal Carcanade diffusée mardi sur France 5, sur les traces de bétonneurs qui se déclarent prêts à « fabriquer des glaciers entiers » à base de neige artificielle en cas de réchauffement climatique intempestif. Pour l’instant, Afriski, la première station de ski africaine offre une capacité de 150 lits. Son créateur, un Européen, entend la doubler en investissant dans de nouveaux canons à neige, une nouvelle remontée mécanique. Elle restera bien loin des 380 000 lits de la Tarentaise, qui elle-même en compte plus que la Tunisie et le Maroc réunis.

Le domaine skiable du Lesotho a beau se situer au cœur de l’Afrique australe, on y croise essentiellement des Blancs. Graphiquement, c’est assez décevant. Cette station africaine rappelle un peu Sotchi et le paysage du parcours de ski de fond lors de l’épreuve du combiné nordique. Un autre tapis de neige artificielle déroulé au milieu d’une forêt dépouillée :

Cloîtré dans sa patinoire, Nelson Monfort ne partage pas les récriminations de ses collègues confrontés au climat le plus caribéen, à la poudreuse la plus poisseuse de l’histoire des jeux Olympiques. « On voit que cette nation si fière a formidablement préparé ces JO, salue le journaliste. Regardez ces images ! Le patinage est un sport qui procure des émotions absolument extraordinaires ! Des hurlements qui n’en finissent pas ! » Sauf si je coupe la télé.

Samuel Gontier

12 février 2014 – Le Monde

 Tous à poil et qu’on en finisse !

Des livres à l’école. « A poil le bébé, à poil la baby-sitter, à poil les voisins, à poil la mamie, à poil le chien… Quand j’ai vu ça, mon sang n’a fait qu’un tour. Ça vient du centre de documentation pédagogique, ça fait partie de la liste des livres recommandés aux enseignants pour faire la classe aux enfants de primaire. On ne sait pas s’il faut sourire, mais comme c’est nos enfants, on n’a pas envie de sourire. Il y a un moment où il va falloir qu’à Paris on atterrisse sur ce qui est en train de se faire dans ce pays. Le rôle des responsables de l’UMP, c’est de dire ça suffit. » Surfant sur la vague du genre, Jean-François Copé, président de l’UMP, a brandi, dimanche 9 février, lors de l’émission « Le Grand jury » RTL-LCI-Le Figaro, un livre pour enfants intitulé Tous à poil ! (Rouergue, 2011). Ce livre figure depuis quelque temps dans la liste d’une association ardéchoise qui recense 100 livres pour parler de l’égalité entre filles et garçons. Cette liste a été proposée par le centre régional de documentation pédagogique de l’académie de Grenoble et donc suggérée aux enseignants. Mais les Décodeurs du Monde.fr rectifient : ce livre ne figure pas sur celle du portail Eduscol.

 

Faux débat. Marc Daniau, l’un des auteurs de Tous à poil !, a fait part de sa consternation. « C’est un faux débat autour de la nudité, nous avons essayé de proposer une approche originale et drôle. Nous avons voulu montrer que nous sommes tous différents, qu’il y a des gros, des petits, des maigres, des grands, des Noirs, des Blancs. Il n’y a aucun gros plan sur les corps. Si l’on suit la façon de penser du patron de l’UMP, il ne faudrait plus emmener les enfants au musée. Le plafond de la chapelle Sixtine ne choque personne ! » Et Mara Goyet, professeure d’histoire dans un collège de banlieue, se demande bien ce que Jean-François Copé penserait de ses cours.

 

Une vieille histoire. L’historien Claude Lelièvre préfère s’en remettre aux textes et rappelle que les stéréotypes sexistes sont restés beaucoup plus présents à l’école que l’on aurait pu le supposer après les injonctions de certains textes ministériels du début des années 1980 : arrêté du 12 juillet 1982 du ministre Alain Savary et quinze ans après, un rapport demandé par Alain Juppé. Dix ans plus tard, c’est toujours le même traitement dans les sept manuels de lecture parmi les plus utilisés au CP. Et que ce soit dans les manuels d’histoire ou de mathématiques de terminale, les représentations inégalitaires et stéréotypées perdurent.

 

 12 février 2014 – librairiecomptines.hautetfort.com

 PUISQUE DES POLITIQUES SE MÊLENT DE LITTÉRATURE JEUNESSE, QU’IL SOIT PERMIS À UNE LIBRAIRE DE SE MÊLER DE POLITIQUE !

Que la droite extrême dans toutes ses obédiences, fasse la chasse aux livres qui présentent et défendent une vision du monde différente de la sienne, rien de nouveau sous le soleil. Que des dirigeants de la droite classique lui emboitent le pas voilà qui est bien plus préoccupant. Que la gauche de gouvernement se couche devant l’agitation d’une minorité réactionnaire, voilà qui est affligeant.

Cette alliance de circonstance entre conservateurs et réactionnaires, scellée dans les cortèges des manifestations anti mariage pour tous, c’est à dire anti mariage homosexuel, habillement rebaptisées « manif pour tous », est d’une autre nature que les éructations récurrentes de quelques groupuscules fachisants.

Laissons de côté le calcul politicien périlleux et à courte vue, de ces barrons du conservatisme qui courent derrière les chefs de file de ces mouvements relookés jeunes et branchés, façon Bob Roberts, et intéressons nous plutôt au sens de cet affolement idéologique.

Pourquoi tant de polémiques (et beaucoup d’âneries) autour d’un concept, à l’heure où le genre, qui est utilisé en sciences sociales depuis des décennies, s’invite dans notre quotidien ? C’est que le genre, qui rappelons-le encore et encore n’est en rien une théorie, interroge les rôles des femmes et des hommes dans le monde et se faisant contribue à rendre visible la domination masculine.
Oui nous vivons dans un monde – même en Europe occidentale où les femmes ont les mêmes droits que les hommes – dominé par les hommes. Un monde dans lequel on nous fait croire depuis des siècles que les rôles sociaux seraient déterminés par le sexe. Cette mise en lumière bouleverse les assises des tenants d’un ordre social dans lequel à chaque sexe correspondrait, immuablement, une manière d’être au monde. Or si ce n’est pas le cas, si nous sommes capables de voir la distance entre le sexe et le genre, entre le sexe anatomique et le sexe social, alors nous faisons un grand pas vers l’égalité. Une égalité qui n’a rien à voir avec l’indifférenciation mais s’appuie sur la possibilité de faire des choix. Et c’est contre cette égalité que se dressent les contempteurs du genre. Il y a ceux qui assument souhaiter une société inégalitaire et ceux  qui trouvent là l’occasion de défendre leur place forte sans afficher la couleur qui ferait… mauvais genre.

Il suffit de regarder autour de soi pour voir combien les familles et les individus d’aujourd’hui démentent l’existence d’un modèle unique : familles monoparentales, recomposées, de parents de même sexe, femmes qui travaillent, hommes au chômage…

Alors que l’école se préoccupe d’égalité des sexes et que la littérature jeunesse se fasse le reflet de la société qui la produit, voilà qui est heureux.

Et que Monsieur Copé se rassure, la littérature jeunesse est dans sa grande majorité (surtout si on tient compte des chiffres de ventes) largement conservatrice en matière de mœurs comme en tout autre. Dans les livres d’images, nombreuses sont encore les mamans qui cuisinent, avec leur petit tablier à volant, pendant que les papas lisent le journal. Plus nombreux encore sont les petits garçons autorisés à conduire toutes sortes de véhicules, à faire des cabanes, à se prendre pour des pirates et à patauger dans la boue pendant que les petites filles sont incitées à se préoccuper de leur apparence, de leurs copines, des travaux d’intérieur (cuisine et autre do-it-yourself).

Heureusement qu’il existe cependant des livres à l’image de la diversité du monde. Ces livres nous, libraires indépendants spécialisées jeunesse, les lisons, nous les choisissons, nous les défendons, tout comme les auteurs, les illustrateurs, les éditeurs, qui au fil de leurs créations, construisent une véritable littérature. Une littérature qui mériterait d’être considérée pour ses qualités comme mérite d’être respectée l’intelligence des enfants à qui elle est destinée.

Ariane Tapinos

12 février 2014 – Le Monde

Non à la manipulation des sciences sociales !

Depuis plusieurs semaines se multiplient les propos et les rumeurs les plus invraisemblables sur ce que d’aucuns nomment la « théorie du genre ». Même le ministre de l’éducation nationale se croit obligé de dire qu’elle n’est pas enseignée dans les écoles ! Mais comment le serait-elle puisqu’elle n’existe pas ? Rappelons ici quelques vérités toutes simples qui semblent pourtant avoir déserté le débat public à force de discours mensongers.

La notion de genre remet en question des stéréotypes liés aux différences biologiques, qui ne sont aucunement niées. La question n’est pas de faire comme s’il n’y avait pas de différence physique entre un garçon et une fille (sexe biologique) ; la question est de savoir en revanche comment cette différence biologique sert d’argument pour légitimer des inégalités de tous ordres au détriment essentiellement des femmes.

Les études sur le genre s’appuient sur un corpus de travaux empiriques validés au sein de communautés scientifiques internationales dont la rigueur et l’autonomie intellectuelle sont reconnues ; ils ont notamment montré que cette différence biologique sert dans nos société s, y compris prétendument développées et éclairées, de justification magique à un certain nombre de discriminations : les femmes participent moins à la vie publique ou politique , elles bénéficient d’une moindre reconnaissance professionnelle dans les déroulements des carrières , elles touchent des salaires inférieurs pour le même travail, elles accomplissent la plus grande part des tâches domestiques (cuisine, ménage, courses, soins aux enfants ou aux personnes âgées).

LA TRADITION INTELLECTUELLE DES LUMIÈRES

Leurs choix de métiers sont plus contraints et restreints que ceux des hommes, elles ont des libertés de choix en matière amoureuse ou sexuelle diminuées voire niées… Les études sur le genre ont donc permis de comprendre et de lutter contre les stéréotypes associés aux différences entre les sexes et leurs effets dévastateurs aussi bien pour l’épanouissement des filles que des garçons.

Afficher fièrement comme certains : « Touche pas à mon stéréotype ! » c’est revendiquer un droit à la bêtise, à la paresse intellectuelle et aux conceptions les plus rétrogrades et conservatrices qu’elles autorisent ! Dans la tradition intellectuelle des Lumières, les sciences humaines et sociales – et parmi elles les études sur le genre qui associent des sociologues, des politistes, des historiens, des juristes, des ethnologues… – contribuent par leurs analyses et leurs travaux à démonter les mécanismes des inégalités sociales et contribuent ainsi au progrès social .

Nous ne pouvons donc que condamner les invocations fallacieuses à des fins politiques rétrogrades, sexistes et racistes, de prétendues théories sociologiques qui n’ont jamais eu cours dans nos domaines scientifiques. Car, redisons-le : la théorie du genre n’existe pas.

Malheureusement dans la période de crise et de désespérance sociale que nous connaissons, ce discours manipulatoire trouve un certain écho, même dans les familles qui sont victimes au quotidien de ces inégalités. Il est du devoir des éducateurs, – enseignants et familles – de condamner ces discours aussi mensongers que dangereux.

Collectif d’associations professionnelles d’enseignants et chercheurs en sciences humaines et sociales

Les membres signataires de ce collectif sont Les membres signataires de ce collectif sont

Laurent Colantonio Président du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire ; Laurence De Cock Présidente du collectif Aggiornamento histoire- géographie ; Didier Demazière Président de l’Association française de sociologie ; Julien Fretel Président de l’Association des enseignants et chercheurs en science politique; Marjorie Galy Présidente de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales; Françoise Lafaye Présidente de l’Association française d’ethnologie et d’anthropologie; Margaret Maruani Présidente du Réseau de recherche international et pluridisciplinaire; Nonna Mayer Présidente de l’Association française de science politique; Julien O’Miel Président de l’Association nationale des candidats aux métiers de la science politique; André Orléan Président de l’Association française d’économie politique; Laurent Willemez Président de l’Association des sociologues enseignants du supérieur.

12 février 2014 – Le Monde

« Théorie du genre »: à quoi joue Jean-François Copé?

Jean-François Copé est prêt à tout pour rallier des suffrages en faveur de l’UMP aux élections municipales. Quitte à se fourvoyer dans des mobilisations réactionnaires, en relayant des thèses de l’extrême droite. Par pur cynisme électoral, le président du parti de droite a cru bon d’alimenter les rumeurs autour d’un prétendu enseignement d’une théorie du genre à l’école.

Loin de rassurer des parents, dont il dit « comprendre » les inquiétudes, il est même allé jusqu’à dénoncer le 9 février sur RTL un ouvrage recommandé, selon lui, aux enseignants du primaire et intitulé « Tous à poil ! ». La preuve, selon lui, que le gouvernement est « pétri d’idéologie ». Une accusation pour le moins hasardeuse car si le livre figure depuis 2012 sur une bibliographie indicative réalisée par une association ardéchoise, il n’a jamais été recommandé officiellement par l’éducation nationale et donc aucun enseignant n’est tenu de s’en servir.

Qu’importe pour le héraut de la « droite décomplexée » ! Son seul objectif : mobiliser des électeurs pour le scrutin du 23 mars, en essayant de mettre à tout prix des bâtons dans les roues de la gauche. Mais à quel prix ? En s’invitant sur ce terrain d’une pseudo théorie du genre, le représentant de la droite républicaine reprend à son compte les attaques de l’extrême droite contre les valeurs de l’école de la République.

Car la sortie du numéro 1 de l’UMP sur le livre « Tous à poil » précédait un appel de Béatrice Bourges, mardi, visant à faire retirer des livres suspectés de propager l’indifférenciation sexuelle des rayons jeunesse de certaines bibliothèques municipales. M. Copé a donc indirectement encouragé cette initiative orchestrée par la présidente du Printemps français, qui regroupe des militants d’extrême droite et les opposants les plus radicaux au mariage homosexuel. Ceux-là même qui se sont retrouvés à manifester contre François Hollande le 26 janvier, à l’appel du collectif Jour de colère, en tenant des propos ciblant les juifs ou les homosexuels…

« OUTRANCES »

Jusque-là, l’UMP avait soutenu « les mots d’ordre » et « les inquiétudes » du mouvement de la Manif pour tous, qui regroupe dans sa majorité des familles défendant les valeurs traditionnelles. En allant manifester ou non. Mais avec le souci constant de tirer profit dans les urnes de la protestation contre les projets sociétaux du gouvernement. « Le débouché principal » des revendications des anti-mariage gay est l’UMP, a par exemple assuré Jérôme Lavrilleux, bras droit de M. Copé.

Cette fois, l’initiative du patron de l’UMP change de nature puisqu’il se retrouve à donner du carburant à un mouvement d’extrême droite. « Copé surjoue le virage à droite par tactique, observe un dirigeant de l’UMP. Sa stratégie, c’est de coller à toutes les humeurs et à toutes les outrances du noyau dur des militants de l’UMP et de tous les opposants à François Hollande. » De quoi renforcer son image de chef de meute, prêt à tous les excès, plus que de chef d’Etat… « A trop se déporter sur notre droite, on risque de se transformer en tea party, alors que l’on à vocation à gouverner en 2017 », craint un autre ténor.

« ESCALADE »

Dans un tir groupé, les membres du gouvernement n’ont pas manqué de souligner « l’irresponsabilité » de celui qui se pose comme le leader de l’opposition. « M. Copé se fait le porte-parole de groupes extrémistes » engagés dans une offensive « contre les valeurs de l’école – la raison, l’égalité, la laïcité », a accusé le ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon dans un entretien à Libération. « Mais jusqu’où va aller M. Copé dans cette escalade incroyable ? », a demandé la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, sur RTL, se disant « extrêmement choquée ». « M. Copé ne se comporte pas en républicain », a tranché le ministre du travail Michel Sapin sur France Info.

Pas de quoi émouvoir le camp Copé… Au contraire.  « Avec ses réactions outrancières, le gouvernement va au-delà de nos espérances… », se réjouit un proche du numéro 1 de l’UMP, montrant que la volonté de Jean-François Copé était bien de cliver avec la gauche, tout en se plaçant au centre du jeu politique.

Alexandre Lemarié

 

12 février  2014 – Le Monde

« Théorie du genre » : des militants d’extrême droite menacent des bibliothèques

Le blog des catholiques radicaux, proches de l’extrême droite et du Printemps français, ne cache pas sa satisfaction : celle d’avoir déclenché un communiqué musclé de la ministre de la culture et de la communication. Lundi 10 février, Aurélie Filippetti dénonçait l’action de « groupuscules » contre les ouvrages de littérature jeunesse abordant l’égalité filles-garçons, l’homoparentalité et le changement de sexe. Depuis une semaine, une trentaine de bibliothèques, selon le ministère de la culture , ont été ciblées par des activistes traditionnalistes, demandant le retrait de certains ouvrages dans les rayons jeunesse : dans la ligne de mire, Jean a deux Mamans, Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi, La nouvelle robe de Bill, etc.

Mercredi 12 février, sur RMC, Aurélie Filippetti a dénoncé des « attaques scandaleuses » contre les bibliothèques, qui sont des « espaces de liberté ». La ministre ajoute que Jean-François Copé s’est « totalement ridiculisé » en pointant du doigt l’ouvrage Tous à poil !, utilisé à l’école pour démonter les stéréotypes, dans le dispositif expérimental de « l’ABCD de l’égalité », mis en place par le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon.

Tout a commencé, le 4 février, par une « alerte » publiée sur le Salon beige. Un membre de ce réseau signale qu’un certain nombre d’ouvrages « recommandés dans l’ABCD de l’égalité » se trouvent dans les rayons des bibliothèques de Versailles. L’index pointé sur Versailles n’est pas neutre. Son maire, François de Mazières, est aussi l’un des trois députés UMP qui a voté en faveur du « mariage pour tous », avec Franck Riester et Michel Piron. Sur sa page d’accueil, le Salon beige cible à nouveau Versailles : un auteur « jeune public » serait intervenu dans une classe de CM1 pour discuter de la construction du genre, et du changement de sexe.

SAINT-GERMAINE-EN-LAYE…

Le lendemain, le 5 février, le Salon beige épingle un certain nombre de villes où sont repérés les « ouvrages idéologiques » : Nantes , Toulon , Saint-Etienne, Le Chesnay, Neuilly-sur-Seine, Castelnaudary, Tours et, au terme d’une malencontreuse faute de frappe, Saint-Germaine-en-Laye (sic). Une ville transgenre était née. Le blog invitait ses membres à vérifier « le contenu » des bibliothèques.

Il est difficile de mesurer l’ampleur du mouvement. Le communiqué d’Aurélie Filippetti déplorait l’attitude des militants, « qui exercent des pressions sur les personnels, les somment de se justifier sur leur politique d’acquisition, fouillent dans les rayonnages »! Mais nous n’avons pu obtenir la confirmation de ces faits.

Sollicitées par Le Monde, les bibliothèques visées par les activistes n’ont pas donné suite. Les fonctionnaires ont un devoir de réserve, et l’approche des élections municipales rend les maires nerveux. La ministre s’est-elle avancée un peu vite, ou alors une consigne de silence a-t-elle été donnée, dans l’espoir que l’incendie ne se propage plus encore ? La directrice de la bibliothèque de Nancy , et présidente de l’Association des directeurs des bibliothèques des grandes villes (ADBGV), Juliette Lenoir, tient à rappeler les grands principes régissant les bibliothèques : « Ils sont inscrits dans une Charte de 1991, ainsi que dans un Manifeste de l’Unesco. Les collections doivent refléter la diversité des opinions, l’évolution de la société, et être exemptes de toute forme de censure », précise-t-elle.

Le maire de Versailles n’a pas souhaité s’exprimer. Dans son entourage, on estime qu’une trentaine de mails au total ont été reçus, « une quinzaine demandant le retrait des livres , et une quinzaine en soutien, appelant à résister à cette offensive ». A Rennes , on assure n’avoir reçu qu’un seul message, reproduisant les éléments de langage du Salon beige. A Castelnaudary, aucune demande de retrait d’ouvrages n’aurait été formulée.

« ON A AUSSI DES PRINCESSES QUI ÉPOUSENT DES PRINCES »

A Metz , où Aurélie Filippetti se trouve en deuxième position sur la liste du maire sortant Dominique Gros (PS), les responsables de la bibliothèque ont mis en place un argumentaire préventif sur Facebook . « On a aussi, dans nos rayons, des princesses qui épousent des princes », grince un bibliothécaire . Philippe Brillaut, maire (CNIP) du Chesnay, dans les Yvelines, est l’un des rares, sinon le seul, à avoir pris la parole sur le sujet, dans un exercice de contorsion délicat à quelques semaines du scrutin municipal. Mobilisé contre le « mariage pour tous », il s’oppose toutefois au retrait des livres, mais a finalement décidé de les déplacer sur des étagères accessibles aux adultes!

Mettre à l’écart des enfants ces ouvrages, c’est ce que demande, justement, Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps français. « Ces livres-là n’ont absolument rien à faire dans les bibliothèques. Au minimum, il faudrait les mettre dans des rayons à part. Les enfants doivent être éduqués par leurs parents. On est en train de fabriquer des enfants d’Etat », déclare-t-elle au Monde.

Raphaëlle Bats, de l’Association des Bibliothèques de France , réplique :

« Certes, les parents sont les premiers éducateurs des enfants. Mais les bibliothèques sont là pour former des citoyens ». En 2012, l’ABF a créé une « légothèque », groupe de travail sur les stéréotypes de genre et la lutte contre les discriminations, lequel « épaule et conseille » les bibliothécaires dans les acquisitions d’ouvrages.

Des leader de l’UMP prennent leurs distances avec le Salon beige, tout en critiquant « le militantisme » du gouvernement. « Chaque lecteur a le droit de donner son point de vue sur un ouvrage, mais ce n’est pas à un groupe de définir une politique d’acquisition », résume le député de la Drôme Hervé Mariton.

De même, Philippe Gosselin, député de la Manche, prend ses distances. « Il appartient à chacun d’emprunter les livres de leur choix. Je suis absolument opposé à l’idée de dresser une liste ». Il ajoute : « Il est évident qu’il faut démonter les stéréotypes. Moi-même, à l’école maternelle, je jouais avec l’élastique avec des copines, et non au football . Mais je sens dans le gouvernement une volonté de déconstruire les repères, ou de rééduquer les enfants. Et je comprends que ça heurte les parents. »

Clarisse Fabre

 

11 février 2014 – Association des Bibliothécaires de France

L’ABF exprime sa position sur les pressions exercées sur les bibliothèques publiques

Ces derniers jours, quelques sites web ont mené des appels au retrait de livres achetés par des bibliothèques municipales, dont la liste est également dressée. Les ouvrages incriminés sont ceux d¹une bibliographie proposée par le syndicat SNUipp-FSU de 79 livres de jeunesse pour l’égalité et concernent essentiellement l’égalité femme-homme et l’homosexualité.

Nous, Association des Bibliothécaires de France, tenons à exprimer notre désaccord profond avec ces prises de positions partisanes et extrêmes. Nous espérons bien au contraire que la liste des bibliothèques ayant procédé à ces acquisitions s¹allongera car c’est le rôle des bibliothèques et des bibliothécaires que de proposer au public des livres pour toutes et tous et sur tous les sujets pour favoriser les débats, lutter contre les prescriptions idéologiques et donner aux enfants comme aux adultes les clés pour comprendre le monde dans lequel ils vivent.

Nous saluons donc les bibliothécaires qui, en achetant livres et autres documents, sont fidèles à la vocation des bibliothèques, telle qu’inscrite dans le Manifeste de l’Unesco, à proposer « des collections reflétant les tendances contemporaines et l’évolution de la société ». Comme l’affirme le code de déontologie de l’Association des Bibliothécaires de France, le bibliothécaire s’engage, en effet, à favoriser la réflexion de chacun et chacune par la constitution de collections répondant à des critères d’objectivité, d’impartialité, de pluralité d¹opinion, à ne pratiquer aucune censure, et à offrir aux usagers l’ensemble des documents nécessaires à sa compréhension autonome des débats publics et de l’actualité.

Nous saluons également les élus et les élues qui ont à coeur, dans leurs projets politiques, de faire de leurs territoires des lieux où chacun et chacune trouve à s’exprimer, à se construire et à se penser comme citoyen dans sa diversité et qui reconnaissent aux bibliothèques leur rôle dans la réussite de cette mission.

Nous saluons enfin le public des bibliothèques, enfants, adolescents ou adultes qui par leurs demandes variées, nous donnent l’opportunité de construire une offre pluraliste de ressources et de services. Par là même, ils accompagnent l’action des bibliothécaires en faveur de l’égalité.

Source : ABF

 

 11 février 2014 – Le Point

Le Printemps français veut retirer des bibliothèques les livres sur « la théorie du genre »

La présidente du mouvement exhorte les parents à appeler les bibliothèques et les mairies pour que ces livres soient retirés des rayonnages.

Le Printemps français, groupe d’opposants au mariage homosexuel, appelle les parents à contacter les bibliothèques pour qu’elles retirent des rayonnages les livres reflétant à ses yeux la « théorie du genre », a déclaré mardi sa présidente. « Les livres qui mettent dans la tête d’une petite fille ou d’un petit garçon qu’ils ne sont pas forcément fille ou garçon en fonction de leur sexe biologique, mais qu’ils décideront quand ils seront plus grands, ces livres-là doivent être mis à part », estime Béatrice Bourges. Elle considère que ces ouvrages « sèment la confusion » dans la tête des petits.

Coups de fil dans les bibliothèques

« On demande aux parents d’appeler les bibliothèques, d’appeler les mairies pour que ces livres soient retirés des rayonnages », explique-t-elle, se félicitant que des appels téléphoniques aient déjà été émis « un peu partout » en France par des « parents citoyens soucieux de l’éducation de leurs enfants ».

La ministre de la Culture Aurélie Filippetti a dénoncé lundi les pressions exercées contre des bibliothèques par « des mouvements extrémistes ». « Près d’une trentaine de bibliothèques publiques ont fait l’objet, ces derniers jours, de pressions croissantes de la part de groupuscules fédérés sur Internet par des mouvements extrémistes qui en appellent désormais à la lutte contre ce qu’ils appellent les bibliothèques idéologiques », a affirmé la ministre dans un communiqué. Selon Mme Filippetti, ces groupes « se rendent dans les bibliothèques de lecture publique, exercent des pressions sur les personnels, les somment de se justifier sur leur politique d’acquisition, fouillent dans les rayonnages avec une obsession particulière pour les sections jeunesse, et exigent le retrait de la consultation de tout ouvrage ne correspondant pas à la morale qu’ils prétendent incarner ».

Une vingtaine de villes visées

« Ça existe peut-être, mais je ne suis pas au courant », a réagi mardi Béatrice Bourges, évoquant simplement des appels téléphoniques. Ces actions ont notamment visé les villes de Versailles, Rennes, Nantes, Dole, Toulon, Lamballe, Saint-Étienne, Troyes, Le Chesnay, Massy, St-Germain-en-Laye, Andernos-les-Bains, Neuilly-sur-Seine, Mérignac, Tours, Strasbourg, Castelnaudary, Quimperlé, Boulogne-Billancourt, Riom, Clermont-Ferrand, Lyon, Viroflay et Cherbourg, selon une source proche du ministère. Le président de l’UMP Jean-François Copé a critiqué dimanche un livre, Tous à poil, qu’il avait présenté

comme recommandé par le Centre national de documentation pédagogique aux enseignants pour les classes primaires. Selon le ministère de l’Éducation, il s’agissait en fait d’un livre recommandé par une association encourageant la lecture chez les jeunes dans la Drôme et l’Ardèche, reprise par l’académie de Grenoble.

Source AFP

 

 11 février 2014 – Le Point

Genre à l’école : les garçons sont en péril !

Un garçon sur trois ne maîtrise pas la lecture en 6e. En cause, une pédagogie qui ne tient pas compte des difficultés propres au sexe dit « fort ».

Interview.

Jean-Louis Auduc a fait partie de la mission laïcité du Haut Comité à l’intégration, opportunément dissous par Jean-Marc Ayrault pour ouvrir la voie à… Eh bien justement, on ne sait pas trop à quoi, ou on ne le sait que trop. Historien de formation, universitaire, Jean-Louis Auduc s’intéresse depuis toujours, dans le débat-serpent de mer sur l’égalité des sexes à l’école, à la laïcité (ici même il y a quelques mois) et au sort fait aux garçons, laissés pour compte de l’Éducation, comme en témoigne le dernier rapport Pisa : est-ce un hasard si presque personne n’a soulevé ce point délicat ? Il est tellement plus pratique, dans le débat actuel sur le(s) genre(s), de penser que le genre autrefois dominant l’est encore ? Il a bien voulu répondre sur ce sujet à quelques questions naïves. Qu’il en soit ici remercié.

Jean-Paul Brighelli : On parle beaucoup d’égalité filles-garçons à l’école et de lutte contre les stéréotypes sexués. Mais qu’en est-il vraiment des résultats scolaires ? L’échec scolaire respecte-t-il la parité ?

Jean-Louis Auduc : Tous les appels à lutter contre l’échec scolaire sont sympathiques, mais en globalisant sans distinguer qui sont « les 150 000 élèves sortant sans diplôme' »ou « les 20 % d’élèves ne maîtrisant pas les fondamentaux de la lecture », ils passent à côté d’une véritable analyse de la réalité de l’échec scolaire en France. Le rapport Pisa 2012 indique que « la progression en France en compréhension de l’écrit est principalement due à l’amélioration des résultats des filles ». Ainsi, entre 2000 et 2012, la proportion d’élèves très performants a augmenté de 6 % chez les filles (contre seulement 2 % chez les garçons), alors que dans le même temps, la proportion d’élèves en difficulté a augmenté de 6 % chez les garçons (contre seulement 2 % chez les filles). Cette indication montre une situation catastrophique dans le domaine de la lecture pour les garçons. Elle signifie qu’en France, plus d’un garçon sur quatre n’atteint pas, en 2012, le niveau de compétence en compréhension de l’écrit, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel, alors que cela ne concerne qu’une fille sur dix !

Pire, selon le rapport, « en France, l’écart de performance en compréhension de l’écrit entre les sexes s’est creusé entre les cycles Pisa 2000 et Pisa 2012, passant de 29 à 44 points de différence en faveur des filles ». Il est clair que la France paie ici son refus d’analyser l’échec scolaire précoce des garçons dans le domaine de la lecture et de l’écriture. On continue à parler de 15 à 20 % environ « d’élèves » ne maîtrisant pas les fondamentaux de la lecture au sortir de l’école primaire en oubliant de dire que le plus souvent cela concerne près de 30 % des garçons ! Toutes les statistiques montrent que les filles durant leur scolarité lisent plus vite et mieux que les garçons, redoublent beaucoup moins qu’eux à tous les niveaux du système éducatif, échouent moins dans l’obtention de qualifications, ont plus de mentions à tous les examens et diplômes, du second degré comme du supérieur. Au total pour l’accès d’une classe d’âge au niveau « bac », on a 64 % des garçons et 76 % des filles ; pour la réussite au baccalauréat, 57 % des garçons, 71 % des filles ; pour l’obtention d’un diplôme du supérieur (bac + 2 et plus), 37 % des garçons, 50,2 % des filles ; pour l’obtention d’une licence, 21 % des garçons, 32 % des filles. La différence filles-garçons concernant le décrochage scolaire s’est accentuée ces dernières années. Il était de 5 points dans les années 1990 et il passe à 9 points en 2010.

Comment expliquez-vous cette situation ?

Pendant trente ans, on a vécu avec l’idée que la mixité réglait en soi les questions d’égalité. Il faut en revenir à l’épreuve des faits. Il ne suffit pas de mettre des garçons et des filles ensemble pour que règne l’harmonie et l’égalité entre filles et garçons, pour que les stéréotypes disparaissent et que se construise un « vivre ensemble ». La gestion de la mixité est un impensé de nos réflexions éducatives. Avons-nous suffisamment conscience de ce qui se joue pour les garçons, quelles que soient leurs origines, dans les premières années de leur vie à l’école ? Avons-nous réfléchi aux difficultés d’adaptation de plus en plus nombreuses des garçons par rapport aux filles dans l’espace scolaire ?

Vous qui avez beaucoup étudié l’échec scolaire des garçons, pourriez-vous préciser les moments où se creusent les différences entre garçons et filles ?

Cet échec scolaire précoce des garçons ne doit pas être pris comme une fatalité. Leurs difficultés ne sont pas dues à des causes naturelles, mais avant tout culturelles et elles se manifestent dès le démarrage de la scolarité. Ce n’est pas d’allergie à la lecture qu’il faut parler, mais de difficultés d’entrer pour le jeune garçon dans le « métier d’élève », dans la tâche scolaire et ses composantes : l’observance de l’énoncé, l’accomplissement de la tâche, la réflexion sur ce qui vient d’être accompli, la correction éventuelle, enfin la finition… On sait combien la non-maîtrise de ces cinq composantes est pénalisante pour certains garçons qui vont se contenter d’accomplir mécaniquement sans réfléchir, refuser les corrections, et « bâcler » souvent leur travail scolaire.

Pourquoi un tel refus ? À la maison, la fille est souvent sommée de participer aux tâches ménagères quand son frère en est généralement dispensé. Et s’il est l’aîné, il peut carrément régner en maître sur la fratrie. Du coup, pour elles, l’école apparaît comme un lieu de valorisation. Alors que pour les garçons, elle est un lieu de contraintes. Elles vont donc rapidement comprendre ce qu’est un ordre précisant la tâche à accomplir, à exécuter cette tâche, à attendre la validation de ce qu’elle a réalisé, à corriger ce qu’elle a mal exécuté et a terminer le travail demandé. Les filles apprennent en fait souvent les cinq composantes d’une tâche avant d’entrer à l’école. Elles n’ont donc aucune surprise à les retrouver dans la classe, ce qui n’est pas le cas des garçons qui ne les découvrent qu’en entrant dans l’école, donc avec un retard significatif.

Cela devrait incliner à mettre en oeuvre des stratégies adaptées, des pédagogies différenciées à l’apprentissage de la lecture pour les uns et pour les autres. Ainsi, le refus par les garçons des composantes « réflexion » et « correction » du travail scolaire fait que les méthodes de lecture « semi- globales » les mettent beaucoup plus en difficulté que les filles puisqu’elles sont basées sur un a priori de la présence de la réflexion dans la mise en oeuvre de la tâche scolaire par tous.

À quels autres moments de la scolarité voyez-vous l’accentuation des écarts garçons-filles ?

L’absence de « rites de passage » pèse plus sur les garçons que sur les filles et ce, à divers moments. L’élève, notamment le garçon, était le « patron » de la cour et des divers espaces de l’école primaire qu’il maîtrisait bien. Il se retrouve au collège dans un espace dont il ne possède pas toutes les clés, et apparaît comme le « petit » de l’établissement, ce qui peut générer une certaine angoisse. Dans la construction de sa personnalité, le garçon vit moins dans son corps la sortie de l’enfance que les filles qui lorsqu’elles sont réglées savent qu’elles peuvent potentiellement être mères. Il a donc toujours eu besoin de rites d’initiation, de transmission et d’intégration. Ceux-ci ont été longtemps religieux (confirmation, communion solennelle) et civiques pour le passage à l’âge adulte (les « trois jours », le service national). Aujourd’hui, il n’existe quasiment plus de rites d’initiation et de transmission, ce qui, la nature ayant horreur du vide, laisse le champ libre à des processus d’intégration réalisés dans le cadre de « bandes », de divers groupes, voire des sectes ou des intégrismes religieux. Une enquête sur les sanctions au collège menée par Sylvie Ayral, La Fabrique des garçons (1) a montré que plus de 80 % des violences en collège étaient le fait de garçons, ce qui l’a amené à penser « que pour les garçons la sanction est un véritable rite de passage qui permet, à l’heure de la construction de l’identité sexuée, d’affirmer avec force sa virilité, d’afficher les stéréotypes de la masculinité, de montrer que l’on ose défier l’autorité ». Si l’on veut éviter que le groupe, la bande, la communauté ne soit le seul élément initiatique repérable, il faut donc impérativement rétablir des rituels collectifs de passage. Sinon la violence machiste continuera à augmenter dans les collèges…

La crise d’identité générée par ce changement de perspective peut être d’autant plus grave qu’elle se situe au tout début de l’entrée dans l’adolescence. Or nous vivons aujourd’hui une société marquée par la confusion des âges, qui demande de devenir mature de plus en plus tôt pour rester jeune de plus en plus tard. La société semble avoir des difficultés à accepter qu’on puisse grandir et devenir adulte. Cette difficulté heurte beaucoup plus la construction de l’identité masculine que celle de l’identité féminine où la rupture enfant/adulte est marquée par des transformations corporelles. Le rétablissement de rites sociaux collectifs est donc un véritable enjeu.

L’absence de « modèles » masculins n’est-elle pas aussi en cause ?

En effet. Dans l’école française, le moment décisif concernant l’orientation des élèves se situe entre la classe de quatrième et la classe de troisième. Il touche donc les jeunes à l’âge de 14/15 ans. Or ce moment est marqué par l’absence dans l’environnement de référent masculin. Notre société doit s’interroger sur le fait qu’aujourd’hui, entre 2 et 18 ans, les jeunes ne rencontrent pour travailler avec eux que des femmes : professeurs (80,3 % de femmes dans le premier degré ; 57,2 % de femmes dans le second degré, BTS et classes prépas inclus), chefs d’établissement, assistantes sociales, conseillères d’orientation, infirmières, avocats, juges, médecins généralistes, pharmaciens, dentistes, vétérinaires, architectes, employées de préfecture ou de mairie…Tous ces métiers sont de manière écrasante féminisés. Les filles ont donc durant leur cursus scolaire et leur adolescence, présentes devant elles, des semblables, femmes référentes auxquelles elles peuvent sans peine s’identifier, ce qui, pour une bonne part, expliquent également qu’elles souhaitent, leurs études réussies, rejoindre ces métiers qu’elles jugent valorisants. À noter que parfois cette identification peut freiner leurs ambitions. Outre l’échec scolaire, le décrochage scolaire qu’elle peut produire, l’absence d’identification contribue au développement de comportements violents et empêche le développement d’un vivre ensemble harmonieux.

Pourquoi cette question reste-t-elle taboue en France ?

Plus personne n’ose nier l’importance en France de l’échec scolaire masculin précoce. Mais en termes de formation des enseignants, de mise en avant de pédagogies différenciées pour combattre cette situation, rien n’est fait. Mieux, on gomme totalement cette dimension dans les ABCD de l’égalité dont il est tant question aujourd’hui. Certains se rassurent en évoquant le fait que cela ne touche que les garçons des catégories défavorisées. S’il est vrai que l’écart filles-garçons est plus important pour les catégories défavorisées, notamment celles issues de l’immigration où 28 % des garçons finissent leur cursus scolaire sans diplôme contre seulement 9 % des filles, l’écart filles-garçons touche toutes les catégories. À l’heure de l’indifférenciation, il n’est pas de bon ton d’évoquer la nécessité de gérer intelligemment la mixité, en s’interrogeant sur les méthodes à choisir, pour faire réussir dans leurs apprentissages les garçons comme les filles.

Faut-il alors abandonner la mixité ?

Non. Toutes les études montrent qu’en Europe comme en Amérique du Nord, ce n’est pas la solution. La réponse est d’ordre pédagogique et éducatif. Mais refuser des classes en permanence non mixtes ne veut pas dire ériger la mixité en dogme absolu, qui n’est d’ailleurs pas respecté dans nombre de structures pour élèves en difficulté (2). Nous connaissons en France une non-mixité a posteriori qui ne pose de problèmes à personne, alors qu’elle est le reflet d’un malaise profond. Elle se traduit par une présence massive des garçons dans les dispositifs d’aide aux « élèves en difficulté ». Il ne s’agit pas de prôner des classes non mixtes, mais de mieux penser la gestion pédagogique de la mixité dans le cadre de classes mixtes. Aujourd’hui, une pédagogie indifférenciée pénalise massivement les garçons et particulièrement ceux des milieux défavorisés où les familles ne peuvent compenser les manques de l’école.

La mise en oeuvre de pédagogies différenciées filles-garçons à certains moments doit permettre de mieux s’adapter aux besoins des élèves, de combattre les stéréotypes et d’entrer enfin dans une dynamique d’égalité à tous les niveaux de la société, notamment par un meilleur partage des tâches au domicile, et de sortir du paradoxe français : une école dominée par les femmes et un monde du travail dominé par les hommes et leurs codes, avec des femmes écartelées entre leur désir de maternité et de réussite sociale. Il est fondamental de réfléchir aux contenus de ce que pourrait être une telle pédagogie, adaptée à chacun et permettant la réussite de tous dans une classe mixte.

(1) Sylvie AYRAL « La fabrique des garçons ». PUF 2011

 

  • (2) Rappelons aussi qu’à Saint-Denis (93), face à la mairie, le collège/lycée de la Légion d’Honneur, établissement public géré par l’État n’accueille que des filles, majoritairement de bonne famille, alors que les enseignants agissent dans les collèges et les lycées d’à côté, pour faire vivre la mixité filles-garçons avec des élèves issus de populations défavorisées à qui l’on explique que c’est une des valeurs de la République…. Quelle cohérence ! Quel symbole des ruptures entre le dire et le faire !

 

Jean-Paul Brighelli

 

11 février 2014 – Le Figaro

Genre et Sexe: la langue française coupable de discrimination ?

ALAIN BENTOLILA* – Le linguiste explique pourquoi nos ministres se trompent quand ils contraignent la langue Française au nom de la lutte contre les discriminations.

Rien ni personne ne peut donner une explication crédible qui expliquerait pourquoi les mots, qu’ils soient oraux ou qu’ils soient écrits voient leurs sens respectifs portés par telle combinaison de sons, ou par telle suite de lettres plutôt que par une autre. Rien ne prédispose la suite de sons [g a t o] à évoquer le sens du mot «gâteau»; de même qu’en espagnol, rien n’appelle les mêmes sons (ou à peu près) à porter le sens de «chat». Il nous faut donc accepter l’arbitraire du signe linguistique et faire à la question: «pourquoi écrit-on cela comme porter le sens de «chat». Il nous faut donc accepter l’arbitraire du signe linguistique et faire à la question: «pourquoi écrit-on cela comme

ça?» la seule réponse juste: «parce qu’il en est ainsi!» et non pas «parce qu’il devait en être ainsi!».

Nous avons certes quelques remèdes toujours provisoires au vertige de l’arbitraire du signe. Ainsi, si je me demande: «pourquoi dit-on «reconstruction»?», je peux expliquer: «parce que «construire» «construction» «reconstruction». Mais en vérité, je ne fais que repousser l’échéance ; car à la question «pourquoi «construire»?, je répondrai certes parce que ce mot vient du latin: «con – struere» (sur le modèle «dé – truire») mais je provoquerai aussitôt la question pourquoi «struere» qui me renverra peut-être à un étymon indo-européen qui marquera sûrement la fin de ma quête impossible.

Il fallait que le signe linguistique fût arbitraire et toutes les langues du monde, à mesure qu’elles se développaient, ont respecté ce principe car c’est la condition de l’indépendance de la forme d’un mot par rapport à la représentation qu’il suggère. La représentation d’un mot fluctue en effet d’un individu à l’autre ; nous n’avons pas tous la même représentation des mots «fontaine», «secrétaire», «ministre» ou«démocratie» ; mais pour autant il ne nous vient jamais à l’idée de changer la façon de dire ou d’écrire chacun de ces mots en fonction de l’image singulière que nous concevons. Si au contraire la forme d’un mot avait quelque chose à voir avec sa référence, chacun serait tenté de la modifier pour l’adapter au mieux à l’image qu’il s’en fait et nous aurions de plus en plus de mal à nous comprendre. La fonction de communication exige que la langue soit stable, c’est-à-dire évolue lentement et par consensus général et non au rythme des fantaisies individuelles ; l’arbitraire du signe linguistique est un des facteurs qui contribue à cette stabilité. Tel est le statut du genre, catégorie de marques totalement arbitraires qui n’ont que fort peu à voir avec le sexe.

J’assistais récemment à une réunion que présidaient deux ministres de sexe féminin ; quelques linguistes étaient conviés afin d’apporter leurs lumières précieuses voire leurs cautions à une réflexion de circonstance sur les stéréotypes discriminatoires portés par la langue française. Après quelques remarques faites sans la moindre trace d’humour, sur l’insupportable règle d’accord qui impose que «dans l’accord de l’adjectif avec deux noms l’un masculin, l’autre féminin, c’est le masculin qui l’emporte» l’une des deux ministres engagea, sur un ton très décidé, à la limite de l’agressivité, un sévère réquisitoire contre le fait que l’on puisse encore aujourd’hui appeler une femme «Madame le ministre»1. Elle voyait là un manque de respect pour les femmes en général et pour elle en particulier. Emporté par quelque élan facétieux, sans doute dû à la médiocrité générale des débats, je glissai insidieusement à l’un des directeurs de cabinet: «Elle veut donc se donner un genre». Le jeu sur le mot «genre» me semblait personnellement assez réussi, mais fit se fâcher tout rouge mon interlocuteur qui me plaça in petto dans les rangs des affreux machistes-conservateurs-réactionnaires. Et pourtant, cette innocente plaisanterie n’était pas dénuée de sens linguistique. Le français, comme vous le savez, possède deux genres, l’un est dit masculin, l’autre est dit féminin. Il s’agit bien de genres et non pas de marques de sexe. Cela signifie tout simplement que les noms sont en français distribués en deux ensembles, l’un qui exige par exemple l’article «la» ou «une» ; l’autre qui impose «le» ou «un».

Le sens des noms ne permet pas, dans la plupart des cas, de prédire à quel ensemble ils appartiennent. Ainsi qui pourrait dire pourquoi «clé», «serrure» et «porte» sont de genre féminin alors que «porche», «verrou» et «arbre» sont de genre masculin: il est clair que leur distribution est totalement arbitraire. Il est cependant vrai que les noms qui réfèrent à des êtres de sexe femelle appartiennent au genre féminin (une vache), tandis qu’inversement ceux qui renvoient à un être de sexe mâle sont de genre masculin (un cheval). On peut donc dire que nous avons en français, deux genres entre lesquels les noms se répartissent de façon largement arbitraire quel que soit leur sens. On devra néanmoins ajouter que le genre a «prêté» son système de distribution aux mots évoquant des êtres dont le sexe méritait d’être distingué, et ce parce qu’il était plus économique d’utiliser «la» ou «le» devant le même mot plutôt que de créer un nouveau mot(cheval/jument). Il n’en reste pas moins vrai que, dans l’immense majorité des cas, le fait qu’un nom appartienne au genre féminin ou masculin n’a absolument rien à voir avec une référence au sexe. Il s’agit simplement d’une règle d’accord que le français a cru bon de mettre en place, contrairement d’ailleurs à une bonne partie des langues du monde. Pensez par exemple aux difficultés des anglophones pour savoir s’il convient de dire «le ou la fourchette», «la ou le bière»…

J’ai bien conscience du caractère inadmissible de la discrimination sexuelle. Il est absolument insupportable qu’elle sévisse encore aujourd’hui dans la vie politique, professionnelle ou familiale. Mais choisir le terrain linguistique pour mener cette bataille nécessaire en confondant règle arbitraire et symbole social me paraît quelque peu ridicule et, pour tout dire totalement inefficace. «Madame le ministre» n’a, à mon sens, rien de choquant ; l’article «la» ou «une» n’ajoutent rien de pertinent, d’autant qu’ils disparaîtront dès l’instant qu’on annoncera: «Madame X, ministre de…». Si l’on tenait véritablement – mais en a-t-on vraiment besoin? – à marquer la féminité de la «faisant fonction», alors il faudrait créer: «ministresse», ou «ministrice», ce qui, vous en conviendrez, n’est pas du meilleur effet.

* Alain Bentolila est est professeur de linguistique à l’université de Paris Descartes. Il est docteur honoris causa de l’université catholique de Paris. Il est l’auteur, notamment, de La langue française pour les nuls, (First, 2013) et Langue et science (Plon, 2014).

 

10 février 2014 – Le Point

Théorie du genre : le boycott fait un flop

Les parents étaient de nouveau appelés à ne pas envoyer leurs enfants à l’école, lundi. Ils paraissent, cette fois, avoir largement ignoré le mot d’ordre.

« Tous mobilisés pour sauver nos enfants d’une théorie du genre mensongère et traumatisante ! » « Vaincre ou mourir ! » Les slogans mi-anxiogènes, mi-belliqueux ont-ils fait leur temps ? En lançant une seconde journée nationale de « retrait de l’école » deux semaines tout juste après la première, Farida Belghoul espérait, sans doute, battre un fer encore chaud. Or, si en fin de journée le ministère de l’Éducation nationale ne disposait pas encore de chiffres précis, la JRE de lundi semble avoir été peu suivie.

À l’école Alfred Binet de Meaux, qui a connu le 27 janvier jusqu’à 40 % d’absentéisme, rien à signaler. « Les seuls absents sont les enfants malades », assure la directrice adjointe de l’école. Pas de « théorie du genre » dans les mots d’excuse, pas plus que de « réunion solennelle de famille » – le motif conseillé, dans leur SMS aux parents, par les organisateurs du mouvement. « Il y a quinze jours, le directeur a écrit un mot aux parents qui avaient choisi de participer pour les rassurer, leur expliquer le principe des ABCD de l’égalité et leur proposer d’en discuter individuellement avec lui », précise-t-elle.

Ce travail d’apaisement, largement mené par les enseignants du primaire et le ministère de l’Éducation nationale, pourrait avoir porté ses fruits ce lundi. « Nous n’avons eu aucun écho, il semble que cela n’a pas eu autant d’impact », confirme Paul Raoult, président de la FCPE, la principale fédération de parents d’élèves. « C’est logique, poursuit-il. La première fois il y a eu un effet de surprise, certains parents ont pu se laisser berner. Ceux qui retirent aujourd’hui leurs enfants sont, je crois, de vrais membres du mouvement. » Paul Raoult dit cependant remarquer une inquiétude persistante chez certaines familles, qui ne souhaitent pas être associées aux extrémismes et refusent le boycott, mais s’interrogent néanmoins sur les contenus des enseignements. « On ne peut pas ne pas prendre cela en compte, estime-t-il. Il faut un vrai dialogue, individuel. »

Des enfants troublés

De fait, la mobilisation du 27 janvier avait été éparse mais impressionnante : une centaine d’écoles sur 48 000, jusqu’à 50 % d’élèves concernés. « Il y a eu cinq absents dans ma classe la première fois, une dizaine chez d’autres collègues », témoigne un instituteur d’une école de Seine-Saint-Denis. « Un seul, Marwan, avait le lendemain un justificatif clair. Il m’a dit, un peu gêné, que sa mère avait essayé de lui expliquer de quoi il retournait mais qu’il n’avait rien compris. »

Le hasard est taquin. La leçon de ce jour-là, prévue de longue date, est bien consacrée au genre… mais il s’agit de grammaire et du genre du nom. « Les élèves ont au tableau une série d’étiquettes et doivent trouver un principe de classement, explique l’enseignant. Comme je suis un peu taquin, et que l’égalité des sexes m’importe, je veille toujours à ce que les représentations véhiculées par les exercices proposés soient équilibrées. Du coup, la liste est la suivante : boxeuse, coiffeur, caissier, directrice, ouvrière, mécanicienne, serveur, acteur. Et puis mon regard se porte sur Marwan. Il est angoissé comme jamais, son cahier est complètement raturé, et, nerveusement, il a classé tous les métiers de fille ensemble, en changeant pour faire bonne mesure le boxeuse en boxeur… Il a fallu le calmer, lui expliquer que ce n’était que de l’orthographe. » Le 10 février, cependant, Marwan était en classe – comme tous les autres.

Marion Cocquet

7 février – Le Figaro («flash actu» sur le site du journal)

L’Assemblée contre « les stéréotypes de genre »

L’Assemblée nationale a décidé aujourd’hui que le service public de l’orientation professionnelle devrait lutter « contre les stéréotypes de genre », un vote qui s’est fait sans débat. Au troisième jour de l’examen de la réforme de la formation professionnelle, « plus personne n’a peur de l’expression stéréotypes de genre », a lancé la députée Ségolène Neuville, défendant un amendement signé avec plusieurs de ses collègues socialistes, dont des membres de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée.

« Chacun a bien compris les enjeux » alors que « des préjugés, des clichés tendent à favoriser l’orientation selon que l’on est une femme ou un homme », a poursuivi cette élue des Pyrénées-Orientales. Le projet de loi prévoyait déjà que « le service public de l’orientation tout au long de la vie » devrait concourir « à la mixité professionnelle ». C’est insuffisant, a estimé Ségolène Neuville, puisque par exemple dans la grande distribution il y a une mixité professionnelle mais « les femmes sont souvent caissières, les hommes souvent chefs ».

« Cette sexualisation des métiers est en partie responsable des inégalités salariales tout au long de la vie mais aussi des inégalités entre les femmes et les hommes à la retraite », ont aussi motivé les députés dans leur amendement, en faveur duquel se sont prononcés gouvernement et rapporteur. Ni eux ni l’opposition ne sont davantage intervenus avant son vote. Le texte adopté stipule que le service public de l’orientation « concourt à la mixité professionnelle, en luttant contre les stéréotypes de genre ».

 

7 février – Le Figaro

Un texte d’initiative ministérielle engage les syndicats à défendre les ABCD de l’égalité.

Titrée «Nous ne ferons pas l’égalité dans l’emploi sans un apprentissage de l’égalité à l’école!», la tribune – non signée – circule depuis quelques jours dans le milieu syndical et dans celui de la Manif pour tous1, indignée. À la lire, on comprend que différentes centrales syndicales s’apprêteraient à signer ladite tribune pour défendre «les ABCD de l’égalité2».

Très critiqués par la Manif pour tous, qui y voit l’introduction de la «théorie du genre» dans l’école, les ABCD mis en place dans 600 classes d’école primaire par Najat Vallaud-Belkacem3 et Vincent Peillon4 visent officiellement à «transmettre, dès le plus jeune âge, une culture de l’égalité et du respect entre les filles et les garçons».

La tribune, coécrite par le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem et des représentants syndicaux, comme son entourage l’a expliqué au Figaro, affirme l’importance de l’école dans «la transmission d’une culture de l’égalité».

En tant que «responsables d’organisations syndicales et d’organisations patronales, nous sommes mobilisés pour réduire les inégalités professionnelles», explique le texte. «Inutile de croire qu’un jour nous pourrons supprimer les écarts de salaire, si l’apprentissage de l’égalité ne commence pas dès le plus jeune âge. (…) Parce que la transmission d’une culture de l’égalité dès le plus jeune âge est une nécessité et qu’elle contribuera à la compétitivité de notre économie, nous soutenons l’esprit et la démarche des ABCD de l’égalité.» Il ne manque plus que des signataires.

Dans les états-majors des différentes centrales syndicales, on indique ne pas avoir reçu cette tribune. Hervé Mariton5, député UMP, proche de la Manif pour tous, affirme de son côté que le Medef6 a refusé de la signer. Quelque peu embarrassé, l’entourage de la

ministre explique que «ce texte d’information demandé par certains membres des syndicats en quête d’explications sur les ABCD» – que les proches de la ministre se refusent à appeler «tribune», en dépit de sa forme évidente – a été rédigé par le cabinet avec des représentants syndicaux siégeant au «Conseil supérieur de l’égalité professionnelle». Cette instance a été créée le 3 janvier 2013 par un décret du président de la République. Ses 73 membres s’occupent notamment d’analyser les «violences de genre» et les «stéréotypes et rôles sociaux». «Les échanges entre le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle et le ministère des Droits des femmes sont fréquents et la création d’un texte soumis ensuite à la libre signature des membres est anodine et habituelle», défend le cabinet. «Nos représentants présents dans ce conseil sont des seconds couteaux, affirme en revanche une organisation syndicale. Il est hors de question pour nous de signer un texte en partie dicté par un ministère. Et ce, quelle que soit notre opinion sur les ABCD de l’égalité.» «Cette démarche ministérielle est maladroite», s’étonne-t-on encore. À croire que les défenseurs du «genre» ne savent plus à quel saint se vouer pour défendre leur concept.

 

6 février – Rue 89

Le « savant fou » John Money, monstre utile des opposants au genre

Son nom est dans la bouche de tous les opposants aux études de genre. John Money. Longtemps inconnu du grand public, le nom de ce sexologue et psychologue néo-zélandais est apparu dans quantité d’articles de blogs et de vidéos.

Il y est décrit comme un « savant fou », un « taré », un « malade mental », un « psychopathe » à l’origine du concept de genre. Une page facebook est même consacrée à le critiquer.

Sur Google Trend (en France) on voit la recherche John Money atteindre des pics jamais connus à partir de 2011, au moment notamment de la fronde des députés contre le genre dans les manuels scolaires.

Dire que John Money est l’un des fondateurs du concept de genre est vrai.

Des décennies de travaux

En 2004 dans une thèse de linguistique, David Haig, un doctorant à Harvard, explique que pendant longtemps le mot « genre » est resté cantonné au domaine de la grammaire. Selon lui, « on peut dater un changement d’usage avec l’introduction par Money du concept de “rôle de genre” en 1955 ».

En 2008 dans un article consacré à « L’histoire politique ambiguë d’un outil conceptuel », Eric Fassin sociologue, spécialiste des questions de genre écrivait :

« Ce n’est pas au féminisme qu’on doit l’invention du concept de “genre”. Dès 1955, inaugurant plusieurs décennies de travaux à l’université Johns Hopkins, John Money reformule les approches héritées de l’anthropologue Margaret Mead sur la socialisation des garçons et des filles : pour sa part, plutôt que de “sex roles”, le psychologue médical parle de “gender rôles”. »

Money accède à la question du genre par ce qu’on appelle à l’époque « l’hermaphroditisme » et qu’on qualifie davantage aujourd’hui d’« intersexualité » explique Eric Fassin :

« La notion de genre, lorsque l’anatomie est ambiguë à la naissance, vise à déjouer l’évidence naturelle du sexe : loin que les rôles viennent ici confirmer les assignations biologiques, le genre permet de nommer l’écart entre les deux. »

L’histoire de David (Brenda, Bruce) Reimer

Il a expérimenté ce concept avec David Reimer, né Bruce Reimer.

En 1966, âgé de huit mois, il est pris en charge par John Money. Son pénis a été carbonisé pendant une circoncision ratée. Découvrant le psy à la télé, les parents du petit Bruce le contactent. Commence alors une terrible histoire d’errements médicaux autour de l’identité de cet enfant.

Persuadé que s’il est élevé comme une fille, Bruce deviendra une fille, John Money conseille à ses parents l’ablation des testicules du petit mais aussi de lui administrer des hormones féminines.

On appelle désormais Bruce Brenda. John Money se félicite dans des articles scientifiques de la réussite de cette « réattribution sexuelle ». Mais à l’adolescence, Brenda refuse une vaginoplastie, se sentant garçon. Il se fera finalement de nouveau opérer pour récupérer un sexe masculin, choisira de s’appeler David à partir de 14 ans, et recevra des hormones masculines. Il se suicidera en 2004.

Cette histoire dramatique de David Reimer est devenue une brèche pratique pour les opposants aux études de genre. Joint au téléphone, Eric Fassin analyse :

« Avec l’histoire de John Money, les réactionnaires d’aujourd’hui nous disent : “Cet homme, qui disait que tout est culturel, était un sale type !” Mais ils oublient de préciser que beaucoup, dans les études de genre, auraient la même réaction : pour les féministes d’aujourd’hui, Money est un méchant ! »

Les féministes se sont appropriées le concept

Mais brandir le nom de John Money pour décrédibiliser le concept de genre, c’est un peu comme si, parce que Freud était sexiste, on estimait le concept d’inconscient caduc.

Money a théorisé le concept du genre, il ne représente en rien les études de genre. Eric Fassin explique comment les féministes – pour le coup à l’origine des études de genre – se sont éloignées de Money :

« Elles se sont approprié le concept pour en faire un outil de critique des normes. On peut donc utiliser le concept de genre tantôt dans une logique normative (comme Money), tantôt dans une perspective critique (comme les féministes) : c’est alors un levier pour faire bouger l’ordre sexuel.

Si l’on compare le genre selon John Money au genre du féminisme, on voit clairement qu’un concept change de sens en fonction des usages. »

Les recherches menées dans le champs des études de genre consistent à analyser les représentations du genre pour mieux les comprendre et combattre les inégalités. John Money a, lui, tenté de construire un nouveau genre chez un individu, contre son gré. Ce sont des démarches qui n’ont rien à voir.

Brenda n’était pas heureuse

Dans un passionnant texte intitulé « Rendre justice à David : réassignation de sexe et allégories de la transsexualité », Judith Butler critique largement Money et sa malhonnêteté :

« Money est même allé jusqu’à montrer à Brenda des images de femmes en train d’accoucher, brandissant ainsi la promesse que Brenda serait un jour capable de donner la vie si elle acceptait sa vaginoplastie. »

Elle raconte aussi :

« Pendant tout le temps où David a été Brenda, Money a continué de publier des articles louant le succès de cette “réassignation”. […] Mais les interviews de Money menées avec David, pour la plupart non publiées, et ses recherches suivantes, ont remis en question son honnêteté.

Brenda n’était pas heureuse, refusait de s’adapter aux si nombreuses soi-disant “attitudes de filles”. Elle était choquée et en colère contre les interrogatoires constants et intrusifs de Money. »

Elle montre dans ce texte comment David n’a pas été écouté. Jamais. Mais aussi comment on a attendu de lui qu’il se conforme à des stéréotypes de genre. Pour Eric Fassin, le fait que le nom de Money sorte aujourd’hui s’inscrit dans un climat politique particulier :

« Toute cette confusion s’inscrit aujourd’hui dans un climat politique : l’anti-intellectualisme porté par une droite populiste. On se retrouve à débattre autour du genre avec des gens qui n’y connaissent rien. Drôle de dialogue ! »

Renée Greusard

6 février – Le Monde

« Depuis des années, nous nous évertuons à répondre aux attaques à répétition contre la supposée théorie du genre. A défaut d’empêcher les caricatures, nous nous efforçons de dissiper les malentendus. Inlassablement, nous expliquons que le genre est un concept dont l’utilité a été démontrée de longue date, dans des disciplines multiples, par quantité de recherches menées dans de nombreux pays. Nous précisons que des paradigmes différents, parfois concurrents, définissent ce champ d’études : parler de la théorie du genre, au singulier, revient à nier cette richesse inséparablement théorique et empirique.

Nous ajoutons qu’analyser la construction sociale de la différence des sexes n’implique nul déni de la réalité biologique : savoir comment un mur est bâti n’a jamais empêché de s’y cogner. Enfin, loin d’affirmer qu’on pourrait devenir homme ou femme au gré de ses fantaisies, nos travaux soulignent la force d’inertie des normes qui assignent des places différentes selon un ordre sexuel hiérarchisé. Il a certes changé depuis une ou deux générations ; les inégalités entre les sexes n’en perdurent pas moins, malgré l’égalité que revendiquent nos sociétés. S’il faut étudier les normes de genre qui continuent de reproduire cet écart entre les principes proclamés et la pratique constatée, c’est dans l’espoir de le réduire.

Mais l’heure n’est plus à nous justifier. Désormais, c’est aux adversaires des études de genre de répondre : de quel droit peuvent-ils disqualifier tout un champ d’études dont ils ne semblent rien connaître ? Bien sûr, il était légitime que l’ouverture du mariage et de la filiation aux couples de même sexe fît l’objet d’un débat démocratique. En revanche, la validité scientifique ne saurait se décider sous la pression de la rue ou des sondages. La légitimité de la science tient à son autonomie, soit à l’évaluation par les pairs. Or tout se passe aujourd’hui comme si le savoir était sommé de se conformer aux exigences de telle ou telle chapelle, religieuse ou pas, comme si la science avait pour vocation de conforter les préjugés et non de les remettre en cause.

UNE FABRICATION DU VATICAN IMPORTÉE EN FRANCE

Il est vain de répondre à la désinformation par l’information. Qu’est-ce que la théorie du genre ? Une fabrication du Vatican importée en France. En 2004, dans sa « Lettre aux évêques sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Eglise et dans le monde », le cardinal Ratzinger dénonçait « l’occultation de la différence ou de la dualité des sexes » : s’il « entendait favoriser des visées égalitaires pour la femme en la libérant de tout déterminisme biologique, a inspiré des idéologies qui promeuvent la mise en question de la famille, de par nature  composée d’un père et d’une mère, ainsi que la mise sur le même plan de l’homosexualité et de l’hétérosexualité ».

Tout l’argumentaire actuel était déjà là. Manquait seulement la formule magique : la théorie du genre, en écho aux offensives de la droite religieuse étatsunienne contre l’enseignement de la théorie de l’évolution. N’est-ce pas sur le terrain scolaire que s’est portée la bataille en 2011, contre l’introduction du « genre » dans les manuels de sciences de la vie et de la terre ? Surtout, si l’expression s’est imposée, c’est qu’en France la droite religieuse a trouvé des relais dans une droite réputée laïque : l’ignorance et l’anti-intellectualisme dénoncent la science au nom du bon sens. Ce n’est plus une frange marginale, mais un large spectre qui s’engage à droite contre la théorie du genre, de Christine Boutin à Nathalie Kosciusko-Morizet, en passant par Hervé Mariton, Henri Guaino et Jean-François Copé.

Aujourd’hui, l’extrême droite a rejoint le combat – non plus seulement sa composante religieuse, avec les intégristes de Civitas, mais aussi les nationalistes identitaires. C’est sur le site d’Alain Soral, qui se dit « national-socialiste », que Farida Belghoul a annoncé sa « Journée de retrait de l’école ». Et c’est au lendemain des manifestations de « Jour de colère » qu’elle a bénéficié d’une couverture médiatique exceptionnelle. Bref, l’unité de toutes les droites, modérées et extrêmes, se fait aux dépens des études de genre.

Face à ces mobilisations politiques déterminées, dans la majorité gouvernementale, certains ont d’abord hésité : le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, entend certes « lutter contre les stéréotypes de genre », mais il se déclare « contre la théorie du genre ». Cet embarras vient de se transformer en reculade sous la pression de manifestants nostalgiques de la famille à l’ancienne. Sur l’ouverture de la PMA aux couples de femmes, le gouvernement avait déjà cédé ; aujourd’hui, en renonçant à la loi sur la famille, il capitule avant même d’avoir combattu. On entend monter un refrain populiste bien connu : et si le genre était seulement l’affaire des « bobos » ? Le peuple n’est-il pas réfractaire à ces préoccupations élitistes ? Dès qu’on traite des femmes, des gays ou des lesbiennes, on nous explique que les classes populaires ne sont pas concernées, comme si elles étaient uniquement constituées d’hommes hétérosexuels, et comme si le genre et la sexualité n’étaient pas l’affaire de toutes et tous.

A ceux qui craignent que le genre ne trouble la quiétude du peuple, il faut expliquer que le trouble vient de l’évolution sociale elle-même : dès lors qu’est ébranlé l’ordre ancien des hiérarchies sexuelles, les rôles des femmes et des hommes ne vont plus de soi. Faut-il regretter l’âge d’or du patriarcat, ou bien se réjouir que l’incertitude provoquée par sa remise en cause n’ouvre une marge de liberté, ou en tout cas de négociation ? Non, notre place dans le monde n’est pas fixée pour l’éternité ; aussi les études de genre travaillent-elles à rendre intelligible l’histoire qui nous traverse jusque dans notre intimité ».

Lucie Bargel, politiste, université de Nice ; Laure Bereni, sociologue, CNRS ; Michel Bozon, sociologue, INED ; Delphine Dulong, politiste, université Paris-I ; Eric Fassin, sociologue, université Paris-VIII, Rose-Marie Lagrave, sociologue, EHESS ; Sandrine Levêque, politiste, université Paris-I ; Frédérique Matonti, politiste, université Paris-I ; Florence Rochefort, historienne, présidente de l’Institut Emilie du Châtelet.

 

6 février – Médiapart

Circulaires, manuels, livres: les ministères censurent le mot «genre»

Cédant à la pression des lobbies les plus conservateurs, le gouvernement a déjà, et depuis plusieurs mois, choisi de faire disparaître partout le mot « genre », désormais jugé trop sulfureux. Au prix d’absurdes acrobaties. Enquête sur une censure discrète qui signe aussi une incroyable défaite idéologique.

C’est par un coup de fil un peu gêné que Sylvie Ayral a appris que ses quatre conférences programmées en avril dans des collèges de Seine-Saint-Denis étaient, « compte tenu du climat », purement et simplement annulées. L’auteure de La Fabrique des garçons, un livre très remarqué paru en 2011 et qui analyse comment, au collège, les garçons recherchent la sanction disciplinaire comme preuve de leur identité virile, a pourtant déjà fait des dizaines d’interventions en milieu scolaire, avec la bénédiction du ministère de l’éducation nationale. À chaque fois, le thème passionne les collégiens comme les enseignants.

Aujourd’hui, le sujet serait devenu trop sulfureux. Plus encore que le thème de son intervention, c’est manifestement le sous-titre de son livre, «Sanctions et genre au collège», et cette mention du mot « genre », qui a mis en alerte les radars du rectorat.

Depuis le succès l’an dernier des mobilisations contre le mariage gay, aux slogans ouvertement homophobes, le terme « genre » est en effet l’objet d’une invraisemblable chasse aux sorcières. Pour désamorcer la fronde réactionnaire qui s’affole de l’introduction d’une prétendue « théorie du genre » à l’école, le gouvernement aurait pu choisir de faire de

la pédagogie sur un concept encore assez neuf dans le débat public. Il aurait pu sereinement expliquer que la théorie du genre n’existe pas mais que le genre est un concept précieux pour penser tout ce que les rôles de sexe ont de socialement construit.

Le mouvement de boycott de l’école primaire la semaine dernière l’a encore prouvé, le terme charrie effectivement bien des fantasmes. Mais l’exécutif a préféré faire simple, en mettant, tout simplement, le mot « genre » à l’index. Lois, circulaires, rapports… Afin de ne pas trop froisser les lobbies intégristes, le gouvernement a discrètement choisi de se passer d’un des concepts les plus importants du champ intellectuel de ces dernières décennies.

Le cas de Hugues Demoulin, chargé de mission égalité garçons-filles dans l’académie de Rouen, et déjà rapporté par ce blog, est à cet égard saisissant. La parution de son livre Déjouer le genre – Pratiques éducatives au collège et au lycée, destiné à être un outil de formation pour les enseignants, est bloquée depuis le mois de septembre. Son ouvrage a pourtant été validé à plusieurs reprises par l’éditeur, le Centre national de ressources pédagogiques, qui dépend du ministère de l’éducation nationale. Puis plus rien. Problème de titre. Preuve d’un climat de tension extrême, le chargé de mission ne veut pas répondre à la presse. Aux dernières nouvelles, son livre devrait paraître prochainement… sous un autre titre !

Avec le rapport sur les stéréotypes de genre chez les enfants et les adolescents, commandé par Najat Vallaud-Belkacem au commissariat général à la stratégie et à l’action prospective, et présenté le 15 janvier dernier, la censure a sans doute atteint le sommet du ridicule. « Vu le climat explosif, on nous a fait comprendre que si on pouvait se passer de ce terme, ce serait mieux », confirme à Mediapart Vanessa Wisnia-Weill, l’une des co-auteures du rapport. Comme dans les cas précédents, pas de consignes écrites, mais de fermes recommandations venues « d’en-haut ».« Après nous être interrogées nous avons finalement décidé de peser précisément nos mots », raconte-t-elle.

Le titre du rapport « Luttez contre les stéréotypes de genre » est donc devenu « Luttez contre les stéréotypes garçons-filles » et les occurrences du mot genre sont presque toutes supprimées. Un travail d’orfèvre qui nécessite parfois le recours à de longues et pénibles périphrases. Et laisse, sur deux cents pages, la même étrange impression que la lecture de La Disparition de Georges Perec, son roman rédigé sans la lettre « e ».

La censure dans ce cas précis est d’autant plus absurde que le commissariat général à la stratégie et la prospective a été créé pour éclairer les pouvoirs publics sur le long terme, et donc sans se soucier du « climat », mais aussi pour créer des ponts avec la recherche, où le terme genre est banalement utilisé depuis plus de quarante ans.

Le ministère du droit des femmes, très actif depuis un an et demi dans la lutte contre le sexisme ou l’homophobie – soit des politiques publiques où il est particulièrement difficile de faire l’économie des recherches sur le genre –, a lui-même été prié de faire le ménage dans sa terminologie. Le mot « genre » a ainsi été effacé tant des circulaires que des campagnes de sensibilisation. Le programme ABCD de l’égalité, expérimenté dans certaines écoles (lire notre article) et qui a cristallisé les inquiétudes de certains parents, n’y fait ainsi jamais référence.

Dans l’entourage de la ministre on reconnaît avoir proscrit un terme « difficile à comprendre y compris par les adultes » de l’ABCD de l’égalité, mais on nie que le genre soit devenu tabou, citant quelques occurrences çà et là dans les programmes de lutte contre l’homophobie. Cette traque dans les documents à destination des écoles prouve bien que cette stratégie est non seulement choquante mais totalement inefficace. Depuis un an, elle est pourtant suivie avec constance.

« C’est normal que ça résiste, on est en train de changer la société ! »

L’examen du projet de loi sur l’école, en février 2013, où le terme « genre » ne figurait pas, avait donné lieu à une curieuse bataille rangée autour du concept. La députée socialiste des Hauts-de-Seine, Julie Sommaruga, avait ainsi défendu un amendement qui

précisait que l’école élémentaire devait promouvoir « l’égalité de genre ». Un amendement alors adopté sans provoquer d’émoi. Au Sénat, l’amendement, jugé trop subversif, est rejeté. Et on lui préfère la formule : « une éducation à l’égalité entre hommes et femmes ». En seconde lecture, Barbara Pompili, députée EELV, revient à la charge et tente de réintroduire l’expression. C’est alors Vincent Peillon en personne qui lui demande de retirer son amendement, au motif que le terme suscite trop de crispations.

« Quand on vous attend à tous les coins de rue avec un bazooka, je comprends la prudence du ministre sur le sujet », avance un expert du ministère, qui défend l’idée qu’employer le mot « genre » revient effectivement à « mettre de l’huile sur le feu ».

Pour autant, effacer le « genre » est tout sauf indifférent. Abandonner un concept qui irrigue des disciplines aussi différentes que l’histoire, la philosophie, la sociologie ou même la biologie relève bien d’une très grave défaite idéologique et donc d’une défaite politique.

« J’entends la volonté d’apaiser. L’école publique et laïque est si violemment attaquée aujourd’hui sur ces sujets… Mais on se trompe complètement de cible ! Les études de genre ont apporté tellement à la compréhension des phénomènes de discrimination, de domination », regrette Sylvie Ayral, qui ne peut imaginer qu’un repli de circonstance. Sur le terrain, ces nouvelles consignes ont évidemment plongé dans la perplexité les responsables des politiques de lutte contre les discriminations dans les académies. « On peut faire sans (le genre) mais si vous voulez aborder certaines problématiques comme la manière dont les garçons sont eux aussi à leur manière victime des stéréotypes, la lutte contre l’homophobie, la lutte contre le masculinisme, on a besoin du concept de genre ! » explique un chargé de mission égalité au sein de l’éducation nationale.

Pour le sociologue Éric Fassin, qui se dit abasourdi de découvrir un tel recul, « s’attaquer aux inégalités filles-garçons nécessite de s’attaquer aux mécanismes qui les fabriquent et pour cela il faut passer par le genre ». Ce n’est pas simplement défendre l’égal accès à toutes les professions – une fille peut devenir garagiste et un garçon « sage-femme » – mais aussi s’interroger sur les représentations du masculin et du féminin : pourquoi se moquer d’une fille « garçon manqué » ou d’un garçon « efféminé », par exemple. « En ce sens, les manifestants qui arborent les slogans « Touche pas à mes stéréotypes de genre » ont très bien compris de quoi il s’agissait. En remplaçant égalité de genre par égalité filles-garçons, on veut signifier qu’on ne s’attaquera surtout pas à l’ordre des choses. Or l’idée d’assurer l’égalité sans toucher aux normes est totalement absurde », affirme le chercheur.

Face aux fortes résistances qui se sont exprimées dans la rue depuis un an sur ces sujets, le gouvernement avait-il d’autre choix que de calmer le jeu ? « Je sais qu’au gouvernement certains sont persuadés qu’il s’agit d’un repli stratégique pour avancer sur l’essentiel, mais c’est ne rien comprendre à la situation, s’énerve Caroline de Haas, la fondatrice d’Osez le féminisme qui a récemment quitté le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Ceux qui ont encore manifesté dimanche sont contre l’égalité hommes- femmes, ils pensent que les rôles sociaux, c’est très bien ! Et on voudrait négocier, trouver un juste milieu. »

Pour elle, « il y a une bataille culturelle, idéologique, philosophique à mener sur l’égalité de genre. C’est normal que ça résiste, on est en train de changer la société ! Je crois que tout cela révèle une absence de culture politique féministe et un vrai problème de colonne vertébrale sur ces sujets alors qu’en face, ils sont très bien formés, très bien organisés ».

La communication gouvernementale sur ces sujets, à commencer par celle du ministère de l’éducation, a été des plus hasardeuses. Fin mai, au lendemain des grandes manifestation, alors que Le Figaro croit bon de surfer sur la vague en titrant« la théorie du genre s’immisce à l’école », Vincent Peillon, interrogé sur France 2, se prend une première fois les pieds dans le tapis en déclarant de but en blanc : « Je suis contre la théorie du genre. »« Si l’idée, c’est qu’il n’y a pas de différences physiologiques, biologiques entre les uns et les autres, je trouve ça absurde », croit bon d’ajouter le ministre dans un saisissant raccourci, qui avait évidemment provoqué la consternation des chercheurs. Trois mois plus tard, après un petit recadrage de son cabinet, Vincent Peillon admet sur France Inter que « la théorie du genre n’existe pas », puis récemment que « la théorie du genre n’est pas enseignée à l’école»… Ce qui suppose qu’elle existe. Au-delà de ces maladresses, le ministre a effectivement décidé de bannir le concept même de genre de tous ses discours pour s’en tenir à la stricte défense de l’égalité filles-garçons.

En supprimant le mot, le gouvernement espère sans doute fermer la porte à des questions sur la transidentité, la procréation, la filiation que le concept de « genre » permet effectivement d’aborder de manière nouvelle et critique. À voir l’importante production théorique sur ces sujets, censurer le mot genre dans les textes et les discours officiel est évidemment dérisoire. En attendant, les militants de la Manif pour tous peuvent savourer une indéniable victoire.

LUCIE DELAPORTE

 

4 février – Le Point

Loi famille : une reculade en rase campagne

Après la manifestation de dimanche, Matignon reporte pour la deuxième fois, l’examen de la loi famille. La majorité est consternée, la droite hilare.

Au lendemain du succès de La Manif pour tous le gouvernement a voulu écarter tout sujet de friction en enterrant la loi famille cette année, une décision qui a immédiatement provoqué une vive déception à gauche. Après un premier report, ce projet de loi de la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti,

devait, selon ses propos la semaine dernière, être présenté en Conseil des ministres en avril pour un examen au Parlement au deuxième trimestre. Mais Matignon a tranché lundi : « Le gouvernement ne présentera pas de projet de loi famille cette année », a dit l’entourage du Premier ministre à l’AFP en milieu d’après-midi.

Est-ce la crainte de voir des débats difficiles venir parasiter les campagnes municipales et européennes ? Matignon a invoqué « les travaux préparatoires » à cette loi, qui « doivent se poursuivre », et un « calendrier parlementaire dense », avec notamment le pacte de responsabilité. À l’Elysée, en plus des contraintes de calendrier, on ajoutait deux autres raisons à ce report : « la nécessité de concentrer l’action de l’exécutif sur la lutte contre le chômage et sur le pacte de responsabilité » et « la volonté d’apaiser un certain nombre de tensions, y compris lorsque celles-ci sont alimentées par de faux débats ».

« Un abandon en rase-campagne » (Mamère)

Une mesure phare du texte devait consister à mettre à la disposition des familles recomposées de nouveaux « outils juridiques » pour reconnaître le rôle joué par des tiers dans l’éducation des enfants.Dans les rangs de la majorité, l’argument du calendrier chargé n’a pas convaincu et cette annonce, saluée comme une « victoire » par les anti-mariage gay, a fait grincer des dents. D’abord chez les écologistes, partenaires de la majorité, où la numéro un Emmanuelle Cosse a parlé à l’AFP de « renoncement consternant ». « Rien de tel pour galvaniser les réacs », a regretté le porte-parole Julien Bayou. « Quelle pantalonnade ! » a renchéri sur Twitter le député Sergio Coronado. Un « abandon en rase campagne », pour Noël Mamère. « La gauche est trompée », a tonné Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), appelant aussitôt à des « élections punition ».

Au PS, certains, en privé, parlaient de « reculade », expliquée par la peur d’alimenter les mobilisations dans la rue telles que celle du week-end passé, qui ont réuni au moins 100.000 personnes à Paris et à Lyon.Dans la matinée, l’entourage du Premier ministre était déjà intervenu pour couper court à ce qui ressemblait à un début de cafouillage entre le ministre de l’Intérieur et le président du groupe socialiste à l’Assemblée Bruno Le Roux sur la procréation médicalement assistée (PMA).

Lundi matin, Manuel Valls a annoncé que le gouvernement « s’opposera(it) à des amendements parlementaires » sur la gestation pour autrui (GPA) et la PMA, principale inquiétude dans les rangs de la « Manif pour Tous ». Quelques minutes après, le patron des députés PS l’a enjoint de « respecter la règle du jeu fixée par le gouvernement et le Parlement », à savoir d’attendre l’avis du Comité national consultatif d’éthique sur la question.

« Du cafouillage à la panique » (Jacob)

Les dissensions sur ce sujet ne sont pas nouvelles. Fin 2012, déjà, M. Le Roux avait annoncé le dépôt par le groupe PS d’un amendement autorisant la PMA pour les couples de lesbiennes dans le projet de loi sur le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe. Mais les députés PS, divisés, avaient fini par y renoncer début janvier 2013, contre la promesse du gouvernement que ce sujet figurerait dans un projet de loi sur la famille. « Le groupe prendrait ses responsabilités pour faire en sorte que la chose puisse être discutée ici » si cette promesse n’était pas tenue, avait alors averti M. Le Roux.

Au cours de la campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait rappelé, dans un entretien au magazine Têtu, qu’il était favorable à la PMA pour les couples de lesbiennes « à condition » qu’il y ait « un projet parental » mais qu’il était « hostile à la gestation pour autrui ».

La droite a vu dans cette discordance au sein de la majorité la légitimation de ses inquiétudes. « Au gouvernement, on est passé du cafouillage à la panique », a régi le patron des députés UMP Christian Jacob. Officiellement, le PS salue la décision du gouvernement, qui « a eu raison de prendre du temps sur ce sujet de la famille, que moi je souhaite consensuel », a déclaré son premier secrétaire Harlem Désir. « Ils commencent à lâcher. Mais ce n’est pas le moment de nous démobiliser », a commenté sur Twitter un des porte-parole des manifestants, Tugdual Derville.

 

 

4 février – L’Express

Report de la loi sur la famille: « Une rechute de la valse hésitation »

Le recul du gouvernement sur la loi famille pourrait revigorer la Manif pour tous plutôt que l’amadouer, prévient François de Rugy, co-président du groupe EELV à l’Assemblée nationale. Une proposition de loi pourrait être déposée avant la fin de l’année.

Ni PMA ni GPA ne devait y figurer et pourtant, il est enterré. Le projet de loi sur la famille, qui aurait normalement dû être présenté en Conseil des ministres en avril, a finalement été repoussé ce lundi à une date indéterminée. Officiellement, le report est dû à un calendrier parlementaire déjà encombré et à des travaux préparatoires qui demandent encore à être affinés, jure Matignon. Difficile pourtant de ne pas y voir un lien avec la Manif’ pour tous de dimanche, qui a rassemblé entre 80 000 et 500 000 personnes. Le mouvement a d’ailleurs salué « une victoire » peu après l’annonce du gouvernement.

A gauche, la déception n’est même plus dissimulée, et ce même au sein de la majorité. Pour François de Rugy, co-président du groupe EELV à l’Assemblée nationale, le combat ne s’arrête pas là. Il n’exclut pas de déposer une proposition de loi avant 2015. Interview.

Comment accueillez-vous le report de la loi sur la famille?

Je trouve cela consternant de donner l’impression qu’on recule sur un sujet de société aussi important. Le débat pose beaucoup de questions et pas uniquement sur la PMA, qui n’est que l’arbre qui cache la forêt.

Ce recul intervient en plus 24 heures après une manifestation, certes d’ampleur, mais qui est menée par une frange très conservatrice de la société. C’est leur droit d’être opposés à toute évolution mais une majorité a été élue, et notamment élue pour porter des projets sociétaux. Quand on recule l’échéance, on laisse les problèmes perdurer.

A quoi est lié ce recul, selon vous?

C’est incompréhensible et d’ailleurs je ne cherche pas à comprendre. C’est une rechute de la valse hésitation, du louvoiement. A l’époque, on nous disait que la PMA ne serait pas dans la loi mariage mais dans la loi famille. Puis, on nous dit pas de PMA dans la loi famille. Et maintenant, pas de la loi famille!

Je demande au gouvernement de venir s’expliquer et d’éclaircir son projet. Si on veut calmer les manifestants, on se trompe, c’est l’inverse qui va se passer! Si on recule à chaque montée de pression, ils vont peut-être en profiter pour nous faire reculer sur autre chose. Je pense notamment au projet sur la fin de vie, dont on sait qu’un certain nombre de personnes pourraient y être opposé, notamment du côté des catholiques et des conservateurs. En reculant, on entretient la vaine polémique.

Comment les écolos vont-ils faire entendre leur voix?

Nous allons dès maintenant travailler à une proposition de loi pour ne pas attendre une échéance indéterminée. Elle portera sur les questions de famille en général: les liens intergénérationnels, la garde alternée en cas de divorce… On pourrait tout à fait imaginer que la PMA rentrerait dans ce cadre. Nous y avons toujours été favorables.

Il faut que, du côté des parlementaires, on se mobilise, et même avec des députés d’autres sensibilités politiques. Ce n’est pas un combat entre les Verts et les socialistes mais entre réformateurs et frileux.

Justement, n’est-ce pas la goutte d’eau qui fait déborder le vase dans vos relations avec les socialistes?

Non parce qu’encore une fois, on ne peut pas réduire le débat à de simples divergences entre le PS et les Verts. Il est vrai que nous sommes un parti à la pointe sur les sujets sociétaux mais je pense que bon nombre de socialistes aussi doivent être ce soir sur la même ligne que nous.

Jérémie Pham-Lê

 

3 février – Huffington post

De quoi la « théorie du genre » est-elle le fantasme?

Réunis en une grande coalition boursoufflée, voici que les représentants de l’extrême-droite, toutes tendances confondues – anti-mariages gay, appuyés sur un catholicisme intégriste, salafistes habités par la terreur d’un maléfique lesbianisme américain, lepénistes anti-système, baroudeurs de la quenelle, anciens du Groupe uniondéfense (GUD), multiples partisans de Dieudonné, de Robert Faurisson, d’Alain Soral, de Farida Belghoul, de Marc Edouard Nabe et autres écrivains illuminés, habitués des plateaux de télévision -, nous offrent un spectacle tonitruant pour commémorer le quatre-vingtième anniversaire de l’irruption des ligues fascistes hurlant contre la République, sur fond de crise économique majeure. Les images partout diffusées ressemblent à celles du 6 février 1934, même si les protagonistes de ces défilés intitulés « jour de colère » se détestent les uns les autres et affirment ne pas partager les opinions de leurs alliés. La haine de l’autre est toujours enfantée par l’union de ceux qui se haïssent entre eux. Rien à voir avec le magnifique poème biblique sur la colère de Dieu (Dies Irae).

Et c’est pourquoi on retrouve dans leurs rangs une même thématique : slogans conspirationnistes, détestation des élites, des intellectuels, des femmes, des étrangers, des immigrés, de l’Europe cosmopolite, des homosexuels, des communistes, des socialistes et enfin des Juifs, le tout ancré dans la conviction que la famille se meurt, que la nation est bafouée, que l’école est à l’agonie, que l’avortement va se généraliser, empêchant les enfants de naître, et que partout triomphe l’anarchie fondée sur une prétendue abolition généralisée de la différence des sexes.

Le thème n’est pas nouveau, il était déjà présent sous une autre forme dans certains discours apocalyptiques de la fin du XIXe siècle qui affirmaient que si les femmes travaillaient et devenaient des citoyennes à part entière, elles cesseraient de procréer et détruiraient ainsi les bases de la société, laquelle serait alors livrée, d’un côté aux « infertiles » – sodomites, invertis et masturbateurs – agents d’une dévirilisation de l’espèce humaine, et de l’autre aux Juifs, soucieux, d’établir leur domination sur les autres peuples en usant d’une fertilité sans commune mesure avec celle des non-Juifs. Le thème du Juif lubrique, incestueux et pourvu d’un pénis sans cesse érigé, aussi proéminent que ses fosses nasales, est une des constantes du discours antisémite.

Aujourd’hui, les ligues de la colère prétendent dénoncer, après le vote de la loi sur le mariage entre personnes du même sexe, un nouveau complot fomenté à la tête de l’Etat pour détruire davantage la famille et la différence anatomique des sexes. Il aurait pour objectif d’imposer l’enseignement dans les écoles républicaines d’une prétendue « théorie du genre » visant à transformer les garçons en filles, les filles en garçons et les classes en un vaste lupanar où les professeurs apprendraient aux élèves les joies de la masturbation collective. On retrouve ici le thème de l’infertilité érigé en complot contre la reproduction sexuée et l’idée de la généralisation de l’accouplement entre personnes du même sexe. En effet, aucun enfant ne peut naître biologiquement d’un acte sexuel qui unirait une femme devenue homme et un homme devenu femme.

Mais de quoi cette « théorie du genre », qui n’existe pas, est-elle le fantasme? Pourquoi une telle rumeur a-t-elle pu se propager dans les réseaux sociaux sans que les médias n’aient eu le temps de l’invalider? Comment des parents – heureusement très minoritaires – ont-il pu céder à cette ridicule campagne de panique, baptisée « journée du retrait de l’école », où se mêlent terreur de l’inversion des sexes, de l’annulation des différences et de la pédophilie?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord rappeler que le genre, dérivé du latin genus, a toujours été utilisé par le sens commun pour désigner une catégorie quelconque, classe, groupe ou famille, présentant les mêmes signes d’appartenance. Employé comme concept pour la première fois en 1964 par le psychanalyste américain Robert Stoller, il a ensuite servi à distinguer le sexe (au sens anatomique) de l’identité (au sens social ou psychique). Dans cette acception, le gender désigne donc le sentiment de l’identité sexuelle, alors que le sexe définit l’organisation anatomique de la différence entre le mâle et la femelle. A partir de 1975, le terme fut utilisé aux États-Unis et dans les travaux universitaires pour étudier les formes de différenciation que le statut et l’existence de la différence des sexes induisent dans une société donnée. De ce point de vue, le gender est une entité morale, politique et culturelle, c’est-à-dire une construction idéologique, alors que le sexe reste une réalité anatomique incontournable.

En 1975, comme le souligna l’historienne Natalie Zemon Davis, la nécessité se fit sentir d’une nouvelle interprétation de l’histoire qui prenne en compte la différence entre hommes et femmes, laquelle avait jusque-là été « occultée » : « Nous ne devrions pas travailler seulement sur le sexe opprimé, pas plus qu’un historien des classes ne peut fixer son regard sur les paysans (…) Notre objectif, c’est de découvrir l’étendue des rôles sexuels et du symbolisme sexuel dans différentes sociétés et périodes. » L’historienne Michelle Perrot s’est également appuyée sur cette conception du genre dans ses travaux sur l’histoire des femmes, ainsi que Pierre Bourdieu dans son étude de la domination masculine. Et d’ailleurs, à bien des égards, cette notion est présente dans tous les ouvrages qui traitent de la construction d’une identité, différente de la réalité anatomique : à commencer ceux de Simone de Beauvoir qui affirmait en 1949, dans Le deuxième sexe, qu’on « ne nait pas femme mais qu’on le devient ».

Dans cette catégorie des gender studies, il faut ranger aussi l’ouvrage exemplaire de Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe, (Gallimard 1992) qui étudie le passage de la bisexualité platonicienne au modèle de l’unisexualité créé par Galien afin de décrire les variations historiques des catégories de genre et de sexe depuis la pensée grecque jusqu’aux hypothèses de Sigmund Freud sur la bisexualité.

Dans le même temps, le livre magistral de la philosophe américaine Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de lasubversion (La Découverte, 2005), publié à New York en 1990, eut un grand retentissement, non pas dans la société civile, mais dans le monde académique international. S’appuyant sur les travaux de Jacques Lacan, de Michel Foucault et de Jacques Derrida, elle prônait le culte des « états-limites » en affirmant que la différence est toujours floue et que, par exemple, le transsexualisme (conviction d’appartenir à un autre sexe anatomique que le sien) pouvait être une manière, notamment pour la communauté noire, de subvertir l’ordre établi en refusant de se plier à la différence biologique, construite par les Blancs.

Dans cette perspective se développa ce qu’on appelle « la théorie queer » (du mot anglais « étrange », « peu commun »), tendance ultra-minoritaire au sein des études de genre et qui contribua à cerner des comportements sexuels marginaux et « troublés » : transgenre, travestisme, transsexualisme, etc… Elle permit non seulement de comprendre ces « autres formes » de sexualité mais de donner une dignité à des minorités autrefois envoyées au bûcher, puis dans les chambres à gaz, et aujourd’hui bannies, emprisonnées, torturées par tous les régimes dictatoriaux. Ce fut l’honneur des démocraties de les accepter et à ce titre la « théorie queer » eut le mérite de faire entendre une « différence radicale ». C’est un délire et une sottise d’imaginer que les trans-bi et autres travestis que l’on voit défiler depuis des années dans les Gay Pride puissent être source d’un quelconque danger pour l’ordre familial et la démocratie. Bien au contraire, cette présence témoigne de la tolérance dont est capable un Etat de droit.

Comme on le voit, les études de genre, quelles que soient leurs orientations – des plus modérées aux plus excessives – n’ont rien à voir avec un quelconque programme de propagande judéo-bolchevique à l’usage des écoliers. Faire croire que l’on pourrait enseigner les oeuvres de Freud, de Butler, de Laqueur, de Foucault, de Bourdieu ou de Stoller à des enfants de 11 ans, relève du délire. Et d’ailleurs, on sait que dans plusieurs établissements scolaires, les élèves ont déjà tourné en dérision les fantasmes des ligues en jouant au jeu de la jupe à toto, du pantalon à Bécassine et du zizi à Julot et à Julie. A l’ère des tablettes et de la toile, il ne faut tout de même pas prendre les enfants pour des imbéciles.

Mais puisque les études de genre, rebaptisées « théorie du genre » par les ligues fascistes, sont ainsi « descendues dans la rue » pour servir de slogan grotesque à une vision complotiste de l’Etat, cela veut dire qu’une nouvelle conceptualité, aussi sophistiquée soit-elle, peut devenir, à l’insu des auteurs qui s’en réclament, l’enjeu d’un combat politique imprévisible.

Autrement dit, en touchant à une représentation de la sexualité inacceptable pour les tenants de l’ancien ordre familial, les études de genre ont réactivé dans la société contemporaine, minée la misère, le vieux fantasme d’une terreur de l’abolition de toutes les différences, à commencer par celle entre les hommes et les femmes. Comment s’en étonner quand on sait que ces études ont été suscitées par l’observation des transformations de la famille occidentale, par l’entrée des femmes dans un ordre historique autrefois dominé par les hommes et enfin par l’émancipation des homosexuels désireux de sortir, par le mariage, de la catégorie des « infertiles »?

Certes, ces études ont donné naissance à des extravagances et la « théorie queer » suscite des débats contradictoires dans le monde académique. Il faut s’en réjouir. Toute approche nouvelle engendre des dogmes, des excès, des attitudes ridicules, et la valorisation excessive du sexe construit (gender, queer, etc) au détriment du sexe anatomique est aussi critiquable que l’a été pendant des décennies la réduction de l’identité sexuelle à l’anatomie, c’est-à-dire à une donnée immuable induite par la nature. On connaît les dérives de ce « naturalisme » fort bien critiqué en France par Elisabeth Badinter. C’est sans aucun doute par référence à cette « théorie queer » et à ses minuscules dérives qu’a été inventée par des ignares la rumeur selon laquelle des comploteurs – adeptes de Foucault, Derrida, Lacan, Beauvoir, Bourdieu ou Freud – viseraient à pervertir les écoliers.

Pour ma part, il y a belle lurette que j’ai intégré dans mon enseignement d’historienne de la psychanalyse, les études de genre et je ne crois pas avoir fomenté le moindre complot contre l’école républicaine. N’en déplaise aux ligues fascistes. Il ne faut pas s’y tromper : l’ennemi à combattre aujourd’hui c’est la « bête immonde » dont les partisans accrochent pêle-mêle au cou de leurs enfants en bas âge, lors de leurs manifestations, des pancartes où l’on peut lire : « à bas les homos, à bas les Juifs, à bas Taubira, à bas les familiphobes, dehors les étrangers, etc… ». Je me demande ce que penseront ces enfants-là quand, parvenus à l’âge adulte, ils découvriront le spectacle de ces manifestations auxquelles, bien malgré eux, ils avaient été conviés.

Elisabeth Roudinesco, Historienne de la psychanalyse

3 février – Libération

A cause de la PMA, le gouvernement repousse sa loi sur la famille

C’est sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes que s’est joué le sort du texte, un sujet qui gêne la gauche depuis plus d’un an.

Puisque le gouvernement ne veut pas d’avancée sur la PMA dans sa loi sur la famille, qu’à cela ne tienne… il n’y aura pas de loi «famille» du tout en 2014. Officiellement, l’entourage du Premier ministre invoque à l’AFP des «travaux préparatoires (qui) doivent se poursuivre» et un «calendrier parlementaire déjà dense». Mais c’est sur un couac entre deux responsables de la majorité sur la question de la procréation médicalement assistée que s’est joué le sort du projet de loi censé évoquer les droits dans les familles recomposées, l’accès aux origines des personnes adoptés ou nés sous X, etc. Tout cela au lendemain d’une nouvelle manifestation des anti-mariage pour tous. Retour sur les hésitations à traiter de ce sujet décidément hautement casse-gueule pour la majorité.

Ce lundi matin, au lendemain de deux défilés de la Manif pour tous à Paris et à Lyon, Manuel Valls est l’invité de RTL. Il prévient que le gouvernement ne donnera pas son feu vert à des amendements parlementaires ouvrant l’accès à la PMA lors de l’examen du projet de loi sur la famille. Bizarrement, l’annonce ne revient ni au Premier ministre ni à Dominique Bertinotti, la ministre déléguée à la Famille. Quelques minutes plus tard, Bruno Le Roux tente un recadrage sur LCI et Radio Classique et invite le ministre de l’Intérieur à respecter «la règle du jeu» fixée. «Je ne renonce à aucune ouverture de nouveaux droits pour les enfants de notre pays», prévient-il. Mais en fin de matinée, Matignon donne raison à Valls et confirme que le gouvernement s’opposera à de tels amendements.

«Mais quelle fonction occupe Monsieur Valls? Garde des Sceaux? Premier ministre? Il outrepasse ses compétences», s’énerve Noël Mamère. Le député écologiste joint par Libération accuse la gauche d’avoir «la main tremblante sur les questions de société».

«LA GAUCHE A LA MAIN TREMBLANTE»

Le pataquès dure en fait depuis un an. Car dès le départ, l’ouverture de la PMA a mis mal à l’aise les socialistes. François Hollande au premier chef. Le 12 décembre 2012, le Président dit ses réticences, admettant que s’il avait été favorable à la PMA, «[il l’aurait] intégrée dans le projet de loi» sur le mariage pour les couples homos. Mais il accepte de laisser les députés faire : «Si le Parlement décide d’aller dans ce sens, il est souverain.» Le groupe PS rédige un amendement. Depuis la loi de bioéthique de 1994, la PMA est réservée aux couples hétéros ne pouvant pas concevoir, mariés ou pouvant attester une vie conjugale de plus de deux ans. L’idée est d’autoriser la PMA aux couples de lesbiennes, voire poussent certains, aux femmes célibataires. Mais le sujet divise les députés socialistes. Lors du débat en interne en décembre, 61 votent contre l’amendement et une centaine sèche l’échange.

L’exécutif semble encore plus gêné. Peur d’un rejet par le conseil constitutionnel, volonté de lâcher du lest face aux opposants qui confondent PMA et gestation pour autrui (GPA, qui n’a jamais été au programme)… Le gouvernement décide d’exfiltrer la PMA. Et fait miroiter à ses troupes pro-PMA son adoption dans le cadre du futur texte sur la famille. Les socialistes consentent à retirer l’amendement, pas les écologistes ni la PCF Marie-George Buffet qui dénoncent ce recul.

LE COMITÉ NATIONAL D’ÉTHIQUE TARDE À TRANCHER

Puis Hollande botte encore en touche en s’en remettant à l’avis du Comité national d’éthique. Les experts tardent à se prononcer : déjà penchés sur le dossier «fin de vie», ils ne trancheront qu’ensuite sur la PMA.

L’exécutif est, lui, de moins en moins chaud. Officiellement, on évoque ce problème de timing entre le texte sur la famille censé passer en conseil des ministres en mars ou avril et la PMA, suspendue à cet avis du comité d’éthique – qui n’est pourtant que consultatif. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, invoquait en septembre une autre raison, se disant «pas certaine que la loi « famille » soit le meilleur endroit pour discuter» de la PMA. Par contre, les parlementaires pourraient remettre le sujet sur la table via des amendements. Une solution pas très courageuse puisque les responsables PS vendaient, début 2013 lors du premier report, l’idée qu’un projet de loi serait plus solide juridiquement qu’un simple amendement.

Manuel Valls, appuyé plus tard dans la matinée par Matignon, explique d’ores et déjà que le gouvernement s’opposera à un tel amendement. Loin d’être déjugé par Matignon, l’entourage du Premier ministre confirme et glisse, pour préparer le terrain, que de toute façon le calendrier du projet de loi n’a pas été arrêté. Suivi par le porte-parole du PS, David Assouline, et du porte-parole des députés PS, Thierry Mandon. Le coup de grâce est donné dans l’après-midi: le gouvernement a préféré sacrifier carrément l’ensemble du projet de loi, plutôt que de renoncer une nouvelle fois à élargir la PMA au-delà du cercle des couples hétéros.

Laure Equy

 

3 février – La Croix

Matignon renonce au projet de loi sur la famille

Après le succès de la manifestation de dimanche, la gauche semble plus que jamais embarrassée concernant les questions de société. La droite, elle, n’en tire pas parti pour autant.

L’information a de quoi réjouir les manifestants de dimanche: lundi 3 février, Matignon a annoncé que le gouvernement ne présenterait pas de projet de loi sur la famille en 2014, contrairement à ce qu’il avait prévu. La « Manif pour tous », qui a rassemblé entre 100 000 et 540 000 personnes à Paris et à Lyon contre ce texte dimanche, a donc réussi son pari à court terme en s’imposant dans le débat public.

Lundi matin, avant même l’annonce de Matignon, Manuel Valls, le ministre de l’intérieur, avait déclaré que le gouvernement« s’opposer [ait] aux amendements parlementaires » visant à ouvrir la PMA aux couples de femmes ou à légaliser la gestation pour autrui, deux préoccupations majeures des manifestants.

De son côté, David Assouline, porte-parole du PS, avait affirmé que son parti ne voulait pas de « débat » ou de « propositions » sur ces sujets, manière de mettre fin aux protestations. Dans les rangs de la gauche, des divisions commençaient à apparaître, certains députés comme Bruno Le Roux, chef de file des élus PS à l’Assemblée, refusant de se voir privés de toute initiative. Le gouvernement a préféré couper court, arguant de « travaux préparatoires » devant « se poursuivre » et d’un calendrier parlementaire « très dense ».

la Manif pour tous veut maintenir la pression

Pour la présidente de la « Manif pour tous », « la mobilisation a porté ses fruits. Le gouvernement a compris notre détermination », s’est réjoui Ludovine de la Rochère tandis que les associations de défense des homosexuels ont, à l’inverse, fait part de leur colère.

Pour autant, la responsable de la Manif pour tous estime qu’il ne faut pas relâcher la pression, notamment concernant la fiscalité et les ABCD de l’égalité expérimentés dans les écoles, qu’elle considère comme imprégnés par l’idéologie du genre. Elle espère que les parents d’élèves seront entendus. D’autres actions sont en tout cas à prévoir: la synthèse du « Grenelle de la Famille », le 8 mars; la possible création d’un « think tank » sur ces questions; etc.

« Une frange des catholiques a pris goût au combat politique, décrypte le sociologue Vincent Tiberj, chercheur à Sciences-Po. Cette frange constate en effet que, bien que minoritaire, elle parvient à se faire entendre. » Lui y voit une conséquence de « l’incohérence » de la gauche « qui n’assume pas sa politique jusqu’au bout en cherchant un consensus qui, de toute façon, n’existe pas ».

la droite réfléchit à la tactique à adopter

Paradoxalement, la droite n’est guère plus à l’aise. Certains, comme Jérôme Lavrilleux, tête de liste UMP aux Européennes dans le nord-ouest, veulent croire que le principal parti de droite est le « débouché principal » des revendications de la « Manif pour tous ». Il cite notamment le mouvement « Sens commun », créé au sein de l’UMP par des militants anti « mariage pour tous ».

De son côté, le député Hervé Mariton (UMP, Drôme) s’active pour que son parti s’engage sur la famille. Il entend ainsi faire voter, en conseil national, l’idée d’un référendum proposant d’abroger la loi Taubira au profit d’une union civile pour les couples de même sexe. Tout en étant bien conscient des obstacles. Le premier, c’est qu’une partie de l’UMP n’est pas fondamentalement opposée aux évolutions engagées par la gauche concernant les mœurs. Le second, c’est le souci tactique de certains élus craignant d’être estampillés « réactionnaires ».

« Il manque, chez nombre de responsables de droite, un travail approfondi sur ces enjeux anthropologiques, remarque le philosophe Thibaud Collin. Or seule cette réflexion de fond permettrait d’aborder ces questions de société de façon modérée et sereine. »

la droite pourrait entériner le mariage pour tous

Dans ce contexte d’embarras généralisé, quelle peut être la suite du mouvement incarné par la « Manif pour tous »? À Sciences-Po, Vincent Tiberj évoque divers scénarios. « Il faut regarder ce qui s’est passé ailleurs ou dans l’histoire, souligne-t-il. Aux États-Unis, dans les années 1980, le mouvement appelé “moral majority” a influencé durablement le parti républicain, qui s’est depuis crispé sur les questions sociétales. La différence, c’est que les élites se renouvellent très rapidement outre-Atlantique. »

Autre scénario possible, que les choses se tassent, explique-t-il en substance. « Au moment du Pacs, la droite était vent debout, des gens sont descendus dans la rue mais au final, la droite de retour au pouvoir a entériné la réforme. Ce pourrait être la même chose », conclut le sociologue.

Marine Lamoureux

 

30 janvier 2014 – Slate.fr

D’habitude, je suis partisane de lʼidée selon laquelle pour se faire comprendre, il faut expliquer calmement et ne pas monter les gens les uns contre les autres. Mais là, basta.

Aujourdʼhui, ça me saoûle. Ça me saoûle de devoir prendre des gants avec des abrutis pour ne pas les choquer dès quʼon émet une idée sortie dʼailleurs que du Moyen- Age. (Je mʼexcuse auprès du Moyen-Age, je sais que tu ne mérites pas lʼimage quʼon a de toi.)

Là, jʼen ai ras le bol.

Je nʼai pas envie de prétendre que la notion de genre nʼa pas été une révolution intellectuelle et quʼil ne faut surtout pas en tenir compte dans lʼéducation de nos enfants sous prétexte quʼon doit rassurer les gens qui ont peur. Parce que Vincent Peillon et Najat Vallaud-Belkacem peuvent réexpliquer cent fois les choses avec un gros brin dʼhypocrisie, je vais vous dire le fond de ma pensée: ces gens qui refusent de mettre leurs enfants à l’école ont très bien compris de quoi il sʼagissait.

Oui, les présentations dans les manuels scolaires qui disent que lʼidentité sexuelle ne se construit pas seulement sur le sexe biologique mais aussi selon un contexte socio-culturel, ce sont bien un apport intellectuel des gender studies.

Ces gens ont peur et ils ont raison. Oui, on ne veut plus faire de différence de traitement entre les garçons et les filles, oui, on veut leur dire quʼils peuvent choisir leur identité, leur sexualité et même, attention, leur sexe pour ceux qui veulent en changer. Oui. Jʼen ai ras le bol quʼon doive sʼexcuser à cause de la «théorie du genre». Quʼon doive rectifier, nuancer, dire que non ce nʼest pas vraiment ce quʼon veut, faire du mot «genre» un mot interdit (dites «parité» et non «genre») que bien sûr, ce nʼest pas bon pour les enfants, quʼon va respecter leurs natures essentialistes de petits garçons et petites filles. Mais merde, non.

Cʼest quoi le problème dans le fond? Cʼest trop «idéologique»? Mais lʼenseignement, et plus généralement la pédagogie, sont toujours empreints dʼidéologie. Ils reflètent la doxa de notre société. En ce moment, on essaye de nous faire croire quʼil existe un apprentissage «neutre», lavé de tout présupposé —lʼenseignement traditionnel donc— versus la théorie du genre, une serpillère facho-féministe crypto-gay. Mais arrêtez vos conneries. Votre enseignement traditionnel est tout aussi idéologique quʼun enseignement qui tire parti de la notion de genre. Il repose également sur des postulats idéologiques. Lʼécole est une institution normative.

On rassure à coup de «Non, on ne va pas habiller les petits garçons avec des robes». Ok.

Mais imaginons: si mon fils veut aller à lʼécole habillé en robe? (Oui, ça arrive. Il y avait eu lʼhistoire de ce petit garçon qui voulait porter une robe, sans être pour autant gay, et dont le père a décidé de montrer un modèle différent en sortant lui aussi en robe.) Si cʼest ce dont il a envie? Est-ce quʼil va être bien reçu dans votre école avec vos charmants bambins à qui vous aurez expliqué quʼun garçon en robe est un être dégénéré? Et sʼil a envie de mettre du vernis à ongle simplement parce quʼil trouve ça joli, vous allez lʼaccueillir sans faire de remarque? Non. Alors arrêtez dʼessayer de nous faire croire que notre école était jusquʼà présent exempte de présupposés et quʼon risque de la détruire à coup dʼidéologie imposée.

Mercredi, au Grand Journal, une membre de la Manif pour tous disait «mais à lʼheure actuelle, à lʼécole, on nʼempêche pas les petites filles de jouer à la voiture». Certes. Par contre, je ne parierais pas quʼun petit garçon qui veut jouer à la poupée soit aussi bien vu. Les filles ont gagné le droit de sʼhabiller en pantalon, mais les garçons nʼont pas celui de porter une jupe. Ce nʼest pas idéologique, ça, peut-être?

Et puis, dites-moi, bordel, ça serait vraiment si horrible quʼon nʼélève pas nos enfants avec comme priorité absolue la dichotomie masculin/féminin ? Est-ce quʼon sʼen porterait tellement plus mal? Ça ébranlerait vraiment trop votre belle société qui fonctionne si bien? Oh mais tiens donc… Ça ne vous rappelle pas un truc cet argument des «repères de la société quʼon met à mal»? Les anti-mariages pour tous. Parce que derrière les anti-genders, ce quʼon trouve cʼest une homophobie latente. Désolée mais oui.

Rappelons, à toutes fins utiles, quʼun garçon et une fille, cʼest différent. Mais que dʼabord, la science ne parvient pas à déterminer quel est lʼordre de lʼinné et de lʼacquis dans ces différences, et ensuite que deux invidus du même sexe sont également très différents (selon leur culture, leur milieu économique et social et leurs expériences personnelles). Le cerveau humain nʼest ni masculin, ni féminin. «Lʼêtre humain est génétiquement programmé, mais programmé pour apprendre.» Et cʼest pas moi qui le dit mais le biologiste nobellisé François Jacob.

Quant aux cours de masturbation à lʼécole, alors là… Je veux dire… Les bras mʼen tombent. Cʼest un non-sens complet. On ne peut pas dire dʼun côté «olala les méchants qui veulent effacer les distinctions sexuelles» (donc psychologique et intellectuelles, parce que ne vous y trompez pas, avec ces gens-là, ça va forcément de pair), et de lʼautre nous accuser de lʼexact opposé, à savoir sexualiser lʼenseignement. Cʼest vous, avec votre école idéale de FILLES et de GARCONS qui sexualisez les enfants. Cʼest vous avec votre obsession du rose, des paillettes, des palettes de maquillage versus le bleu, les grosses chaussures, le sport, qui sexualisez les enfants.

Pas nous.

Nous, on fait lʼinverse. On veut leur foutre la paix avec ces distinctions et leur dire de faire comme ils en ont vraiment envie. (Je sais qu’on est loin des subtilités de la pensée de Judith Butler, mais ce qui gêne les anti-genders, ce sont des choses aussi simples que ça.)

Jʼécris sous le coup de la colère, dʼune colère que jʼai réussie à contrôler quand on nous a fait chier avec les clichés sur les méchantes féministes, quand on nous a fait chier avec les clichés sur les pédés qui allaient se marier et mettre à sac la société. Alors je ne dis sans doute pas les choses comme il le faudrait, de manière pédagogue. Mais sur le sujet, je nʼai lu et entendu que des prises de paroles policées pour bien expliquer aux gens-qui-ont-peur quʼils ont mal compris. Non, dans le fond, ils nʼont pas mal compris. Les organisateurs de ce mouvement de «grève» pressentent bien ce qui se passe. Il faut arrêter de faire semblant.

Ça me rappelle lʼhypocrisie de certains partisans du mariage pour tous qui disaient que ça nʼavait rien à voir avec le sujet de lʼhomoparentalité. Mais bien sûr que si. Bien sûr que ça amène à reconnaitre le droit à tous les couples dʼavoir des enfants. Et tant pis si ça vous met la rate au court-bouillon. Deal with it. Et foutez-leur/nous la paix.

On peut continuer de faire semblant que tout cela nʼest quʼun vaste malentendu que la prise de parole dʼun ministre va suffire à régler. La réalité, cʼest quʼil y a une profonde division dans la société française. Et que pour le moment, je nʼai pas franchement envie de me réconcilier avec des personnes comme Mmes Béatrice Bourges, Farida Belghoul ou M. Alain Soral.

Titiou Lecoq

Frère Luc, du monastère de Tibhérine, dont on sait l’enlèvement et la fin tragique en 1996, avait déjà connu la capture. C’était le 1er juillet 1959, en pleine guerre d’Algérie. Les hommes en armes qui l’avaient rapté ne le libérèrent que cinq semaines plus tard. En Algérie, contre toute attente, le FLN fit des prisonniers – militaires mais aussi civils, des hommes mais aussi des femmes – pour internationaliser le conflit grâce à l’action de la Croix-Rouge internationale. Beaucoup moururent. Leur histoire, qui est aussi celle de la première tentative d’appliquer les conventions de Genève lors d’un conflit, n’avait encore jamais été faite. Ce livre entend leur redonner vie, les réinscrire dans notre mémoire, et dire au plus près l’expérience de ces prisonniers de la guérilla, témoins étranges d’une guerre dont on a largement perdu le sens.

prisonniers FLN  Raphaëlle Branche, Payot, 2014.

http://www.payot-rivages.net/livre_Prisonniers-du-FLN-Raphaelle-BRANCHE_ean13_9782228910293.html

On ne naît pas homme, on le devient. Cet ouvrage se propose de déconstruire ce qui a fait longtemps figure d’invariant et de montrer que la masculinité a une histoire. Les contributions qui courent de la préhistoire à nos jours peignent ainsi des masculinités à la fois multiples et changeantes en privilégiant les processus de construction de la masculinité.
Ce livre part des signes et marqueurs de la masculinité qui permettent d’emblée de savoir qui est un homme. Il analyse ensuite les preuves et épreuves de masculinité, qu’elles soient professionnelles, sexuelles ou militaires. Les hommes, en effet, se doivent de démontrer, toute leur vie durant, qu’ils remplissent bien les critères de « bonne masculinité » attendus d’eux. Sont en jeu ici les processus sociaux et éducatifs qui transforment le sexe en genre et la nature en culture. Ces preuves et épreuves non seulement font « l’homme » mais elles classent également les hommes entre eux et construisent les hiérarchies masculines, opposant dominants et dominés, gagnants et perdants de la masculinité.
Une histoire des hommes et des masculinités fondée sur le genre permet ainsi de mieux comprendre la résistance de la domination masculine et les inégalités persistantes entre hommes et femmes.

Anne-Marie Sohn (dir), ENS éditions, 2014.

Sohn

http://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100006110

 

Comptes rendus », Annales de démographie historique 1/2013 (n° 125), p. 211-234.
URL : www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2013-1-page-211.htm.

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Anaïs DUFOUR, Le Pouvoir des dames. Femmes et pratiques seigneuriales en Normandie (1580-1620), Rennes, PUR, 2013, 110 p.

Venant après L’héritage de Marie de la Roche-Guyon. Un conflit entre deux nobles lignages normands à la fin du Moyen Âge (Valérie Deplaigne, 2009) paru dans la même collection, Le Pouvoir des dames convainc de la nécessité de poursuivre dans la voie d’une approche genrée des modalités de reproduction familiale et sociale. En un court volume de 110 pages, divisé en cinq chapitres, nourri de quelques pièces justificatives – un aveu de 1604 intégralement restitué en 22 pages – et des habituels compléments, l’auteure donne à voir les circonstances qui conduisent les femmes à exercer un authentique pouvoir seigneurial. Car même dans une province aussi peu favorable aux femmes que la Normandie, il arrive que les filles majeures (exceptionnellement) et les veuves (ordinairement) administrent des ensembles fonciers et recueillent des droits d’une certaine importance. Cela tient à la coutume qui dispose que les filles héritent de leurs parents en l’absence de frères, directement ou par représentation. Anaïs Dufour, puisant dans un corpus d’aveux et de partages entre filles, donne quelques exemples de transmission de seigneuries passant alternativement par les femmes et par les hommes. Elle montre également la persistance du parage entre filles, alors qu’il a pratiquement cessé d’exis-ter entre frères. Quand les filles héritent d’un bien noble, les puînées tiennent leur part en parage de l’aînée, qui fait seule foi et hommage au suzerain pour la totalité du fief, comme si aucun partage n’était intervenu. Ce parage concilie l’indivisibilité du fief et le partage égal, une pratique collective des prérogatives seigneuriale en même temps que le rejet du principe de primogéniture. S’il n’y a pas de droit d’aînesse, une certaine inégalité peut-elle tout de même s’être glissée dans la pratique successorale ? Certains fiefs, au moins sur le plan symbolique, ont plus de poids que d’autres. Les lots, égaux en valeur, peuvent ou non comporter un fief ou une part de fief. Enfin, les parts peuvent être rachetées et un fief démembré reconstitué sur une seule tête. Tout cela fait-il plus que des nuances ? Il faudrait examiner les alliances, le destin des aînées et des cadettes, pour s’en assurer. Si les mariages font bien l’objet d’un chapitre, ce point n’est malheureusement pas étudié. L’enjeu que représentaient les héritières, filles mineures puis jeunes femmes à marier, est en revanche fort bien illustré. Mais c’est surtout dans le veuvage que les femmes trouvent à s’accomplir et à s’affranchir de la tutelle masculine. Douairières, gardiennes, tutrices ou simples propriétaires, les veuves peuvent montrer autant d’acharnement que les hommes à conserver leurs droits. Anaïs Dufour les montre aussi très actives sur le marché foncier et occupées à grossir le patrimoine lignager. De ce point de vue, il ne semble pas qu’il faille distinguer gestions féminine et masculine. Un dernier chapitre met en avant quelques figures féminines de la haute aristocratie, l’énergie répressive de la duchesse de Longueville, l’esprit d’initiative de la duchesse d’Aumale.

C’est donc un beau travail qui nous est proposé, montrant des femmes autonomes, actives, parfois même puissantes. On les voit dominantes à l’égard des couches sociales inférieures, mais pas vraiment dominées par les hommes dans leur univers propre. L’ouvrage, qui repousse une analyse des rapports sociaux et conjugaux en termes de domination, s’inscrit dans un courant ; celui des travaux visant à l’atténuation des antagonismes. On regrette à cet égard la brièveté du paragraphe consacré à la séparation de biens, encore trop méconnue dans la noblesse, mais bien décrite par Julie Hardwick pour le monde artisanal (Family Business. Litigation and the political economies of daily life in early modern France, 2009), ou bien l’absence des hommes d’affaires recrutés pour assister les femmes administratrices.

Jérôme Luther Viret

Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre – Mnémosyne, nous œuvrons depuis plusieurs années à proposer une histoire mixte par la recherche, la pédagogie, la diffusion vers tous les publics. Face à l’entreprise de désinformation actuellement en cours contre une supposée « théorie du genre » nous ne pouvons que réagir en réaffirmant les valeurs qui devraient être au fondement de toute société : l’égalité entre toutes et tous et, la liberté de choix pour tous et toutes.

L’appel au boycott de l’école lancé par Farida Beghloul et son collectif ces derniers jours est un modèle de mauvaise foi et de manipulation. Les méthodes sont connues : utilisation abusive de la Déclaration des droits de l’homme, responsabilisation des parents protecteurs de leur progéniture en danger, agitation des angoisses (perte de repères, confusion, désorientation), référence à la « nature » (qui fait si bien les choses), dénonciation d’un complot ourdi par des politiques interventionnistes et des scientifiques/militants dangereux. L’offensive serait loufoque si elle n’était si grave.

Grave car elle dénonce le fait que l’orientation sexuelle ne serait «  au fond qu’une question de choix personnel ! », car elle s’insurge contre la possibilité que les collégiens et les lycéens puissent être « libres d’user de leur corps ». Les anti « théorie du genre » ignorent non seulement qu’il ne s’agit pas d’une théorie (on ne peut pas tout savoir), mais mettent en cause l’énorme progrès que constituent les politiques d’égalité et de lutte contre les stéréotypes actuellement mises en œuvre par les enseignant-e-s sous l’égide du Ministère de l’éducation nationale et de celui des Droits des femmes.

Donner le choix aux enfants, filles et garçons, sans discrimination et dans un souci d’égalité, des jouets qu’ils aiment, des sports qui les épanouissent, du métier qu’ils veulent faire, des vêtements qu’ils aiment porter, des livres qu’ils veulent lire, des personnes qu’ils désirent, tel est l’objectif, actuellement dénoncé par Farida Beghloul et ses acolytes. En accusant le gouvernement et les promoteurs d’une « théorie du genre » « de désorienter, de traumatiser et de déstructurer nos enfants », des parents affolés et les lobbys éclectiques et réactionnaires qui les incitent à retirer leurs enfants de l’école une journée par mois nient tout simplement la formidable avancée que représente la liberté de choisir, en toute connaissance de cause, sa propre vie.

Association professionnelle regroupant enseignant-e-s, chercheurs, étudiant-e-s en histoire des femmes et du genre nous tenons à rappeler que le genre sert tout simplement à décrire comment se construisent les inégalités entre les sexes. L’égalité salariale hommes-femmes, la sexualité, la lutte contre les stéréotypes, la mixité scolaire, ne sont pas « contre nature », et nous continuerons à promouvoir une histoire mixte, un enseignement égalitaire, et la prise en compte du genre. Notre association appelle à soutenir les parents d’élèves et leurs fédérations, les enseignant-e-s et tous ceux et celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité.